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Sujet : Les hommes ont-ils besoin d’être
gouvernés ? (Série S 2004)
La notion de
besoin implique une nécessité. Se demander si les hommes ont besoin d’être
gouvernés, c’est se demander si cela est nécessaire, c’est-à-dire si cela ne
peut être autrement que cela est. Le fait d’être gouverné est alors soit inéluctable,
soit contingent, c’est-à-dire qu’il pourrait ne pas être.
S’il est inéluctable, alors le
gouvernement est une conséquence de la nature humaine. L’homme, dans son
essence, contient le gouvernement. Afin de rendre raison du gouvernement, il
convient alors de faire référence à la notion de sécurité. En effet, le
gouvernement, selon sa définition, encadre le peuple afin d’assurer la sécurité
de celui-ci et, par-là, la survie des individus qui le composent. Le
gouvernement est donc l’entité institutionnelle en charge d’assurer l’ordre
social, entité qui a été mise en place par les hommes alors regroupés en
société et en Etat en vue de la survie de chacun. Sans le gouvernement, sans
cette entité étatique, les hommes vivraient sous la « loi » de
nature, c’est-à-dire dans l’état de nature qui serait le règne de la puissance.
Ainsi, étant donné qu’il ne serait pas raisonnable de vivre dans cet état de
nature si l’on veut survivre, l’état civil dans lequel le gouvernement encadre
les puissances présentes dans le peuple est une nécessité vitale, donc, un
besoin.
Pourtant, le fait d’être gouverné dans un
Etat est le résultat d’un contrat, d’un projet commun. Le fait de contracter
semble alors dépendre de volontés de différentes parties. Le contrat social
implique une décision consciente qui pourrait ne pas être. Le gouvernement
serait alors contingent en étant dépendant de la volonté du peuple.
Ainsi,
la question est ici de savoir si le
fait d’être encadré par une entité institutionnelle étatique est une nécessité ou bien si cela dépend d’une décision
consciente qui pourrait ne pas être, c’est-à-dire que les hommes pourraient
vivre correctement sans nécessairement instaurer un gouvernement, un Etat.
Afin de répondre à cette question, nous verrons d’abord en quoi le
gouvernement est une nécessité pour le peuple. Cependant, il conviendra de se demander quel type de gouvernement
est à mettre en place : qui doit gouverner ? comment ? en vue de
quoi ? Enfin, nous noterons le
fait que le Gouvernement soit établi par une décision collective consciente qui
pourrait être autre et nous nous interrogerons alors sur les conditions d’une
absence possible de tout gouvernement.
I / De la nécessité de gouverner les hommes :
A / L’état de nature selon Hobbes :
Dans sa
philosophie politique, Hobbes envisage un état de nature, c’est-à-dire la
situation fictive dans laquelle il n’y aurait pas de gouvernement. Ainsi,
l’état de nature n’est pas ce qui précède l’état civil, mais c’est ce qui
serait sans cet état civil, c’est-à-dire sans l’Etat, sans gouvernement.
Sans gouvernement, les hommes
laisseraient libre cours à leur licence, c’est-à-dire à leur liberté
n’ayant plus de borne. Hobbes va alors parler de la liberté naturelle. La
liberté naturelle serait le règne de la puissance en vue de la survie dans
l’état de nature :
« la liberté qu’a chacun d’user comme il le veut
de son pouvoir propre, pour la préservation de sa propre nature. »
Hobbes, Léviathan,
1651
Dans la nature, chacun cherchant à survivre, l'autre
devient nécessairement un concurrent, ne serait-ce que potentiel. Hobbes pense
ici une égalité naturelle des forces : en effet, le faible peut tuer le
fort par sa ruse. Ainsi, l’autre est toujours à craindre : l’autre peut
vouloir posséder ce que je désire, ce
qui fait de lui un concurrent. L’autre étant potentiellement un danger ou un
concurrent pour moi, et la meilleure défense étant l’attaque, je vais
l’attaquer préventivement pour me prémunir de tout dommage. Hobbes parle alors
d'une « guerre de chacun contre chacun » (Léviathan, 1651).
Cette
« guerre » est d’autant plus présente qu’il y a, dans la nature
humaine, le désir d’être plus puissant que l’autre :
« Je place au premier rang, à titre de penchant
universel de tout le genre humain, un désir inquiet d’acquérir puissance après
puissance, désir qui ne cesse seulement qu’à la mort. »
Hobbes, Léviathan, 1651
Ainsi, dans l’état de nature, chacun chercherait à
survivre et à éliminer les dangers et les concurrents potentiels pour acquérir
de la puissance, pour dominer : un tel état de nature, de guerre entre
individus, ne semble pas tenable sur le long terme. En effet, l’on s’épuiserait
à être constamment sur ses gardes pour préserver sa place, pour se défendre
d’éventuelles attaques.
L’état de nature ne serait donc pas une situation
viable : Hobbes qualifie une telle situation fictive d’
« infructueuse » :
« Hors de la société civile, chacun jouit d’une liberté très entière,
mais qui est infructueuse, parce
que, comme elle donne le privilège de faire tout ce que bon nous semble, aussi
laisse-t-elle aux autres la puissance de nous faire souffrir tout ce qu’il leur
plaît. »
Hobbes, Du Citoyen, 1642
Ainsi, il est une nécessité pour les
hommes d’éviter de sombrer dans cet état de nature, dans ce chaos violent dans
lequel chacun est un ennemi potentiel pour son voisin. Pour se prémunir de
l’état de nature, les hommes ont mis en place l’état civil, l’Etat, le
gouvernement.
B / L’instauration du souverain selon Hobbes :
La meilleure manière pour éviter
l’état de nature, selon Hobbes, est l’instauration d’un « pouvoir […] qui les tiennent tous en respect » (Léviathan, 1651). Ce pouvoir est
exercé par la figure du souverain, qui, dans la pensée de Hobbes, peut être une
personne (monarque), ou un ensemble de personnes s’accordant pour n’exprimer
qu’une seule volonté. Ce souverain concentre la force et prive donc les
individus de disposer librement de la leur propre, ce qui protège le peuple de
la guerre de tous contre tous de l’état de nature. En effet, le souverain est
mis en place, selon Hobbes, à la suite d’un contrat, d’une multitude de
contrats passés entre les individus et le souverain : ces contrats sont
des serments d’allégeance au souverain, des pactes de soumission. Cependant,
pour que le souverain concentre effectivement la force et protège alors de la
guerre civile (qui ravageait alors l’Angleterre, et c’est la raison pour
laquelle cette partie de la philosophie politique intéresse tant Hobbes), il
faut que chaque individu consente à se soumettre au même souverain : en
effet, si mon voisin ne dépose pas les armes alors que je les ai déjà rendues,
alors ma sécurité n’est pas pleinement assurée (or, c’est là le rôle du
souverain qui concentre la force). Il faut alors que chacun se soumette, et,
s’il y a des récalcitrants, il faut que le souverain nous en protège en
exerçant sa force légitimée par nous. Le souverain a alors pour rôle d’exercer
le pouvoir sur l’ensemble de son peuple, de lui assurer la sécurité en mettant
tout en œuvre pour éviter la guerre civile, et, pour ce faire, il a alors pour
fonction principale d’unifier le peuple. Le souverain est le garant de l’unité
du peuple en tant que peuple, pour ne pas qu’il sombre dans des luttes
intestines. Ce rôle d’unificateur du souverain est représenté par Hobbes par la
référence au Léviathan, monstre marin légendaire, dans le titre, et notamment
sur la couverture de son œuvre :
Ici, le corps du souverain est
constitué par le peuple (le souverain étant la tête, et les individus
constituant le peuple étant les écailles du Léviathan) : c’est l’existence même
du souverain qui constitue le peuple en tant que tel. L’unité du peuple est
assurée par le souverain qui concentre deux pouvoirs essentiels ici pour régner
sur le pays : le pouvoir politique, militaire, représenté par
l’épée ; et le pouvoir religieux,
représenté par le sceptre. En effet, pour éviter toute lutte interne au peuple,
il faut se prémunir de ce qui peut causer la division. Or, la différence des
croyances et des pratiques religieuses peut être la cause de tensions menaçant
la paix civile. Ainsi, Hobbes défend, non pas la solution que la France
adoptera, c’est-à-dire la laïcité, la relégation de la religion dans la
sphère privée de l’individu qui doit s’effacer devant les institutions
publiques, mais l’unité religieuse du peuple : le peuple devra adopter la
religion de son souverain, publiquement au moins. Selon Hobbes, la
concentration du pouvoir physique n’est pas suffisante : il ne suffit pas
d’unifier les corps, il faut aussi unifier les âmes, pour se protéger de l’état
de nature. Ainsi :
« Le droit politique et ecclésiastique des
souverains chrétiens sont indivisibles. ».
Hobbes, Léviathan,
III : « De l’Etat chrétien. », Chapitre 42
Etude de
texte : Hobbes, Léviathan, II, XVII : Léviathan
« La cause finale, fin ou
but des humains (lesquels aiment naturellement la liberté et avoir de
l’autorité sur les autres), en s’imposant à eux-mêmes cette restriction (par
laquelle on les voit vivre dans des Etats), est la prévoyance de ce qui assure
leur propre préservation et plus de satisfaction dans la vie ; autrement
dit de sortir de ce misérable état de guerre qui est, comme on l’a montré, une
conséquence nécessaire des passions naturelles qui animent les humains quand il
n’y a pas de puissance visible pour les maintenir en respect et pour qu’ils se
tiennent à l’exécution de leurs engagements contractuels par peur du châtiment
[…]
Le seul moyen d’établir pareille puissance commune, capable de défendre les
humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par
les autres et, ainsi, les protéger de telle sorte que, par leur industrie
propre et les fruits de la terre, ils puissent se suffire à eux-mêmes et vivre
satisfaits, est de rassembler toute leur force sur un homme ou sur une
assemblée d’hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes leurs
volontés à une seule volonté ; ce qui revient à dire : désigner un
homme, ou une assemblée d’hommes, pour porter leur personne ; et chacun
fait sienne et reconnaît être lui-même l’auteur de toute action accomplie ou
causée par celui qui porte leur personne, et relevant de ces choses qui
concernent la paix commune et la sécurité ; par là même, tous et chacun
d’eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son
jugement. C’est plus que le consentement ou la concorde ; il s’agit d’une
unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de
chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque individu devait
dire à tout individu : j’autorise
cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me
gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et
autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude,
ainsi unie en une personne une, est appelée un Etat, en latin CIVITAS. Telle
est la génération de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt (pour parler avec plus de
déférence) de ce dieu mortel, auquel
nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense. »
Hobbes, Léviathan, 1651, II,
XVII, Traduction G. Mairet, Folio essais, Pages 281 à 288
Introduction :
Dans
cet extrait du Léviathan, Hobbes
théorise ce que, pour lui, doit être le rôle du souverain, et comment il doit
être mis en place.
Hobbes estime que la fonction
principale de ce souverain est de garantir la sécurité à chaque individu, à
chacun de ses sujets, en évitant que surgisse la guerre civile. Pour ce faire,
il faut que les particuliers composants le peuple se soumettent absolument au
souverain qui est alors le garant de l’unité du peuple, de l’existence même du
peuple en tant que peuple.
La question est alors ici de savoir
pourquoi l’instauration de souverain est une nécessité, et comment elle doit se
mettre en place.
Afin de répondre à cette question, nous
verrons d’abord la raison de la
nécessité du souverain (lignes 1 à 13). Par
la suite, nous étudierons comment celui-ci doit être mis en place, par quel
type de contrat (lignes 13 à 22). Enfin,
nous pourrons dire quel est l’Etat défendu par la philosophie politique de
Hobbes (lignes 22 à 25).
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« humains (lesquels aiment
naturellement la liberté et avoir de l’autorité sur les autres) » (lignes
1 – 2) :
La philosophie politique de Hobbes
prend racine dans sa conception de la nature de l’homme. Hobbes part de deux
principes :
-
L’homme aime
« naturellement la liberté » (ligne 1), c’est-à-dire, ici, la
licence, la liberté sans borne, la liberté naturelle.
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L’homme aime « avoir de
l’autorité sur les autres », c’est-à-dire exercer un pouvoir sur l’autre,
posséder une certaine puissance.
Ainsi, il y a un désir naturel de domination chez chacun
de nous, ce qui est le terreau favorable à l’état de nature qui nous menace, à
la guerre de tous contre tous pour obtenir cette place dominante.
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« s’imposant à eux-mêmes cette
restriction (par laquelle on les voit vivre dans des Etats) » (lignes 2 –
3) :
Hobbes relève alors que, pour éviter
de sombrer dans cette guerre de tous contre tous, les hommes s’imposent
« à eux-mêmes cette restriction » (ligne 2) qu’est l’Etat :
c’est l’état civil. En effet, l’Etat est une restriction des deux composantes
de la nature humaine relevées précédemment : la liberté absolue, et le
désir de puissance. Dans l’état civil, l’homme ne fait plus ce qu’il désire, et
délègue sa puissance à la puissance centrale.
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« [La cause finale, fin ou but
des humains] est la prévoyance de ce qui assure leur propre préservation et
plus de satisfaction dans la vie. » (lignes 3 – 4) :
Ce qui a poussé les hommes à vivre
dans l’état civil, c’est donc leur esprit de « prévoyance » (ligne 3)
qui cherche leur survie et leur « satisfaction » (ligne 4) maximale.
Ainsi, la survie serait plus aisée dans l’état civil que dans l’état de nature
où tout tiers est un potentiel danger pour soi. De même, il serait plus
satisfaisant de ne pas disposer d’une liberté totale, mais d’une liberté
civile, car, au moins, nous sommes protégés de l’autre : la liberté
naturelle, absolue, n’est que celle de se faire tuer.
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« Autrement dit de sortir de ce
misérable état de guerre qui est, comme on l’a montré, une conséquence
nécessaire des passions naturelles qui animent les humains quand il n’y a pas
de puissance visible pour les maintenir en respect » (lignes 4 à 6) :
Ainsi, l’état civil, l’Etat, est
instauré par les hommes pour éviter l’état de nature qui serait inexorable en
raison des passions humaines (pour la liberté absolue et le pouvoir) : cet
Etat est alors la « puissance visible » (ligne 6) qui maintient
« en respect ». L’important est en effet que cette puissance soit
visible pour être dissuasive.
-
« et pour qu’ils se tiennent à
l’exécution de leurs engagements contractuels par peur du châtiment »
(lignes 6 – 7) :
Le rôle de l’Etat n’est pas
seulement d’éviter l’état de nature : c’est aussi de faire respecter la justice au sein du peuple, par la menace
de la sanction. En effet, il serait juste que chacun tienne sa parole au sein
du peuple, et, pour cela, l’Etat peut punir les contrevenants, en vue de rendre
effectif l’idéal de justice.
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« pareille puissance commune,
capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les
préjudices commis aux uns par les autres et, ainsi, les protéger » (lignes
8 à 10) :
En plus de ce rôle de magistrat,
l’Etat a également pour fonction de protéger le peuple, non seulement en
évitant toute guerre civile, mais aussi en le défendant contre les invasions,
contre ses ennemis extérieurs. Ainsi, il est du ressort de l’Etat, de son
responsable, de faire la guerre, de la déclarer, et de la faire cesser :
la guerre est alors un acte politique.
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« les protéger de telle sorte
que, par leur industrie propre et les fruits de la terre, ils puissent se
suffire à eux-mêmes et vivre satisfaits » (lignes 9 à 11) :
La protection assurée par l’Etat
contre la guerre civile et contre les attaques venues de l’extérieur a pour
intérêt principal de permettre la prospérité économique du pays : en
effet, un pays en paix peut davantage travailler
sereinement, et, ainsi, se développer, progresser. L’objectif, selon Hobbes,
sur le plan économique, est alors l’auto-suffisance.
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« [Le seul moyen d’établir
pareille puissance commune] est de rassembler toute leur force sur un homme ou
sur une assemblée d’hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes
leurs volontés à une seule volonté. » (lignes 11 à 13) :
Le seul moyen de mettre en place cet
Etat qui a pour fonction d’éviter la guerre civile, les invasions, de permettre
la prospérité économique et d’assurer la justice, c’est l’instauration du
souverain qui est soit un monarque, soit une « assemblée d’hommes »
(ligne 12) n’exprimant qu’une seule volonté.
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II / « Ce qui revient à dire :
désigner un homme, ou une assemblée d’hommes, pour porter leur personne. »
(lignes 13 – 14) :
Le rôle du souverain est alors de
« porter » (ligne 14) le peuple, chaque individu du peuple,
c’est-à-dire le représenter. Le peuple s’unifie alors, se constitue même, grâce
à la figure du souverain qui l’incarne.
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« Et chacun fait sienne et
reconnaît être lui-même l’auteur de toute action accomplie ou causée par celui
qui porte leur personne, et relevant de ces choses qui concernent la paix
commune et la sécurité. » (lignes 14 à 16) :
Le souverain étant le symbole de
l’unité du peuple, de l’existence même du peuple en tant que peuple, chaque
sujet doit comme faire sienne chaque action, chaque décision de son souverain.
En effet, si un individu, ou pire, un groupe d’individus, se permet de
contester les actes du souverain avec lesquels il ne serait pas en accord,
alors cela donnerait lieu à un terrain favorable aux tensions internes au
peuple, et, par conséquent, à la guerre civile tant redoutée. Ainsi, il faut
que tous se rangent derrière le souverain, sans contester. Hobbes est alors ici
défenseur d’une « monarchie » absolue, même si le souverain n’est pas
nécessairement un monarque.
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« Par là même, tous et chacun
d’eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement.
C’est plus que le consentement ou la concorde ; il s’agit d’une unité
réelle de tous en une seule et même personne » (lignes 16 à 18) :
Hobbes souligne alors que la
soumission au souverain doit être totale, essentiellement pour éviter toute tension
interne à la société : le sujet doit faire siens les actes, les décisions,
les « volontés » (ligne 17), les « jugements » du
souverain, bref, sa personne doit se fondre en celle de son souverain. Le
peuple ne doit alors exister qu’au travers de son souverain par lequel il est
uni, par lequel il existe en tant que peuple.
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« [l’unité réelle de tous en
une seule et même personne est] faite par convention de chacun avec chacun, de
telle manière que c’est comme si chaque individu devait dire à tout
individu : j’autorise cet homme ou
cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner
moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes
ses actions de la même manière. » (lignes 18 à 22) :
Hobbes met alors la condition sine qua non à l’instauration du
souverain : le fait que chaque sujet doit accepter de se soumettre, sous
peine de ne pas connaître tous les bienfaits de l’état civil, et de rester
alors menacé par l’état de nature. En effet, si mon voisin ne se soumet pas,
alors il est dangereux pour moi. Ainsi, tout le monde doit se soumettre. Si un
individu ne se soumet pas, alors il devra être éliminé par le souverain, ou ne
serait-ce qu’écarté.
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III / « Cela fait, la multitude,
ainsi unie en une personne une, est appelée un Etat, en latin CIVITAS. »
(lignes 22 – 23) :
L’instauration du souverain pensée
par Hobbes permet alors la naissance de l’Etat, du peuple organisé en tant que
peuple.
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« Telle est la génération de ce
grand LEVIATHAN, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le
dieu immortel, notre paix et notre défense. » (lignes 23 à 25) :
Le souverain est alors comparé au
Léviathan, ce monstre marin légendaire, et est qualifié de « dieu mortel » (ligne 24),
c’est-à-dire que le souverain est la personne sur Terre à laquelle nous devons
presque le même respect que nous devons à Dieu, car nous lui devons notre
sécurité, notre survie, l’état civil. Ainsi, on peut dire que Hobbes défend la
« monarchie » absolue de droits divins : la personne du
souverain est sacralisée. Le souverain n’est alors plus comme les simples
mortels : sa personne, son corps, ses paroles, ses actes, sont sacrés.
Ainsi, selon Hobbes, les hommes
semblent avoir besoin d’être gouvernés, pour survivre, pour exister en tant que
peuple : l’instauration du souverain absolu est alors une nécessité, la
seule solution envisageable.
Transition :
Cependant, un tel régime politique,
alors qu’il est censé protéger le peuple, remplit-il réellement ce rôle ?
Le peuple est-il réellement à l’abri, en sécurité, grâce au souverain
sacré ? L’existence même d’un tel souverain, auquel il faut obéir
aveuglément en respectant ses actes, ses décisions, ses volontés, ses
jugements, sa religion, ne met-elle pas en cause la sécurité même du
peuple ? La plus grande menace pour le peuple ne serait alors pas la
guerre civile, mais le pouvoir du souverain qui deviendrait tyrannique, le fait
d’être soumis au bon plaisir de ce souverain : le danger que représente le
souverain, et les tensions qui en découlent, sont présents dans les différentes
critiques classiques contre l’absolutisme, et, plus récemment, sont illustrés
dans un extrait de la série Game Of Thrones.
Extrait
vidéo : Saison 2, Episode 6 : 23,50 à 27,30 (2 minutes et
40 secondes)
Dans cet extrait, le roi Geoffrey
n’assure pas la prospérité économique de son peuple en engageant une guerre en
raison de son orgueil personnel, n’assure alors plus la survie de son peuple en
ne lui permettant pas de subvenir lui-même à ses besoins, et décide, en
représailles d’avoir été humilié en public par la foule, de les mettre tous à
mort. Ainsi, le roi est ici ce qui prive le peuple de sécurité, par ses
mauvaises décisions, orgueilleuses. La main du roi (équivalent au premier
ministre), Tyrion, le rappelle alors à l’ordre en lui montrant que le roi a des
obligations envers son peuple, comme l’exposait Hobbes. En giflant le roi,
Tyrion porte atteinte à la personne sacrée du souverain pour bien lui rappeler
que le roi n’est sacré qu’en tant qu’il remplit son rôle essentiel :
assurer la survie et la satisfaction du peuple. Si le roi ne remplit plus son
rôle, il sera, nécessairement, destitué par la révolte populaire.
Ainsi, il nous faut souligner que le
peuple n’a pas besoin d’être dominé par le souverain comme le prétend Hobbes,
mais d’être dirigé par un gouvernement qui respecte le contrat social passé
entre le(s) dirigeant(s) et le peuple dirigé.
II / Les critères de légitimité du gouvernement :
Pour
Hobbes, le seul critère pour que le gouvernement, assuré par le souverain, soit
légitime, c’est qu’il assure la sécurité et la satisfaction au peuple.
Or, pour ce faire,
il faudrait un despote éclairé, ce qui, manifestement, n’est pas toujours le
cas.
A / Le Gouvernement républicain :
Rousseau,
propose alors l’institution d’un autre Gouvernement qui n’est pas dirigiste
mais exécutif. En effet, selon Rousseau, le contrat hobbesien n’est qu’un
contrat de soumission des individus à la personne du souverain. Or, la
soumission est inenvisageable pour Rousseau car, selon lui, la liberté est
inaliénable :
Texte de Rousseau :
« Renoncer à sa liberté
c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à
ses devoirs. Il n'y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout.
Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l'homme, et c'est
ôter toute moralité à ses actions que d'ôter toute liberté à sa volonté. Enfin
c'est une convention vaine et contradictoire de stipuler d'une part une
autorité absolue et de l'autre une obéissance sans borne. N'est-il pas clair
qu'on n'est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette
seule condition, sans équivalent, sans échange n'entraîne-t-elle pas la nullité
de l'acte ? Car quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce
qu'il a m'appartient, et que son droit étant le mien, ce droit de moi contre
moi-même est un mot qui n'a aucun sens ? »
Rousseau
Rousseau
Selon Rousseau, l’obéissance aveugle
au souverain à laquelle exhorte Hobbes implique la nullité du contrat passé
entre le sujet et le souverain : en effet, le souverain, dans la pensée
politique de Hobbes, est dans une position qui lui permet de ne répondre de
rien, de ne pas assumer ses responsabilités et, alors, de se comporter en
tyran, au détriment du peuple.
Ainsi, dans Du contrat social (1762), Rousseau
propose, non pas d’établir un souverain à la manière de Hobbes, mais que chaque
individu passe un contrat avec tous les autres individus du peuple, un contrat
d’association, pour que le peuple se constitue en tant que tel sans en appeler
à une figure centrale et supérieure fédératrice : le peuple existe parce
qu’il en a décidé ainsi. Le modèle du contrat proposé par Rousseau est alors
horizontal, et non plus celui d’une multitude de contrats verticaux passés
entre les sujets et le souverain. Ainsi, en s’unissant à tous les autres, on ne
délègue pas sa liberté à un supérieur : il s’agit ici de faire corps avec
les autres. Ainsi, si un élément de la communauté nationale est attaqué, c’est
toute la Nation qui l’est. Dans ce modèle républicain, il n’y a alors pas de
souverain supérieur au peuple : c’est le peuple lui-même qui est son
propre Souverain. Le peuple est dit Souverain car il est véritablement libre,
c’est-à-dire qu’il peut obéir à ses propres règles (et non à d’autres règles
qui lui seraient extérieures). Il importe ici de rappeler la distinction entre
la liberté et la licence, comme le fait Rousseau en nous disant qu’un peuple
qui suivrait constamment ses désirs de manière anarchique serait esclave, alors
que le peuple qui se discipline lui-même, qui s’impose son propre cadre est,
lui, pleinement, véritablement, libre :
« l’impulsion du seul appétit est esclavage, et
l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. »
Rousseau
Ainsi, comme il y a tout de même un
Souverain, un décideur, il y a également un exécutant, un Gouvernement :
ici, le Gouvernement n’est qu’un appendice de l’Etat, c’est-à-dire du pouvoir
exécutif chargé de faire appliquer la volonté du peuple Souverain. Le
Gouvernement au service du peuple Souverain est alors composé de
« ministres ». L’étymologie du terme « ministre » est alors
ici à noter car « ministre » vient du latin minister qui signifie « serviteur », c’est-à-dire, ici,
serviteur de la volonté du peuple.
Ces serviteurs se doivent alors de
respecter certains principes dans leur action républicaine, pour être
légitimes : on appelle cela, aujourd’hui, l’exemplarité en politique. Ces
principes de l’action politique républicaine sont exposés par Locke, philosophe anglais du XVIIème
siècle :
Texte de
Locke :
« S’il est vrai qu’en entrant en société, les hommes
abandonnent l’égalité, la liberté, le pouvoir exécutif qu’ils possédaient dans
l’état de nature, et qu’ils les remettent entre les mains de la société pour
que le législatif en dispose selon que le bien de cette même société l’exigera,
il reste cependant que chacun ne le fait que dans l’intention de préserver
d’autant mieux sa personne, sa liberté et sa propriété (car on ne peut supposer
qu’une créature rationnelle change de situation dans l’intention de la rendre).
Le pouvoir de la société, ou du législatif
qu’elle institue, ne peut jamais être
censé s’étendre au-delà de ce que requiert le bien commun ; il est
obligé de garantir la propriété de chacun, en remédiant aux trois défauts que
nous avons mentionnés ci-dessus, et qui rendaient l’état de nature si incertain
et si inconfortable. Par conséquent, quiconque détient le législatif ou le
pouvoir suprême de la république est tenu de gouverner selon des lois fixes et établies, promulguées et
connues du peuple, et non par des décrets improvisés ; de gouverner par le
moyen de juges impartiaux et intègres, appelés à trancher tous les différends
en fonction de ces lois ; enfin, de n’employer à l’intérieur la force de
la communauté que pour l’exécution de ces
lois, et à l’extérieur pour prévenir les atteintes de l’étranger ou en
obtenir réparation, afin de garantir la communauté contre les incursions et les
invasions. Tout ceci ne doit être dirigé vers aucune autre fin que la paix, la sûreté et le bien public du peuple. »
Locke, Second traité du gouvernement, 1690
Il est à noter, d’abord, que Locke
rajoute une raison que Hobbes ne propose pas pour expliquer la raison d’être de
l’état civil : la « propriété » (ligne 5). En effet, dans un
hypothétique état de nature, cela serait le règne de la possession, et non de
la propriété garantie par le droit, droit qui n’existe que dans l’état civil,
que grâce à la présence de l’Etat qui veille pour le défendre.
Locke pose alors les principes
d’action du pouvoir politique dans un contexte républicain, c’est-à-dire les
termes du contrat qu’il doit respecter vis-à-vis de son peuple qu’il sert, qui
a bien voulu l’instituer pour le servir :
-
« [Le pouvoir] ne peut jamais être censé s’étendre au-delà
de ce que requiert le bien commun. » (lignes 7 – 8) :
Ainsi, le gouvernement n’œuvre plus
que pour la sécurité et la satisfaction du peuple comme le pensait Hobbes, mais
œuvre pour le « bien commun »
(ligne 8) qui est une notion plus large. C’est là les prémices de ce que l’on
appellera le welfare state
(Etat-Providence) qui sert le bien-être, et même le bonheur du peuple, rôle qui
n’était pas présent dans la pensée de Hobbes.
-
« Il est obligé de
garantir la propriété de chacun » (ligne 8) :
En effet, le droit à la propriété et
à ce que l’Etat défende notre bien est l’une des raisons de l’institution de
l’état civil : si le Gouvernement n’assure plus ce droit, alors c’est
l’état de nature qui nous menace, et l’Etat n’existe déjà plus en ne
remplissant pas sa fonction.
-
« [Le gouvernant] est
tenu de gouverner selon des lois fixes
et établies » (ligne 11) :
Locke veut ici prémunir le système
républicain contre la volatilité des lois que l’on pourrait connaître en
monarchie : en effet, en monarchie, la loi est changeante, au gré des
humeurs, du bon plaisir du roi. Or, la République fixe ses lois pour ne pas
avoir à subir l’arbitraire royal. De plus, une telle fixité des lois permet de
voir à plus long terme, d’anticiper, de prévoir.
-
« [Les lois doivent
être] promulguées et connues du peuple » (lignes 11 – 12) :
En plus d’être fixes pour lutter
contre les « décrets improvisés » (ligne 12) du roi, les lois doivent
être publiées et connues du peuple qui doit les respecter. En effet, dans une
république basée sur la représentation nationale (et non sur la démocratie
directe), le peuple doit être mis au courant des lois que le parlement a voté
pour pouvoir obéir, en réalité, à sa propre volonté. Aujourd’hui, une telle
publication des lois passe par le Journal Officiel.
-
« [Le gouvernant des
tenu] de gouverner par le moyen de juges impartiaux et intègres » (lignes
12 – 13) :
Locke précise alors ce que doit être
le fonctionnement de la justice dans
le système républicain : les juges se doivent d’être et de rester neutres
dans le jugement qu’ils rendent, c’est-à-dire de ne pas avoir de connivence, ni
avec la partie accusatrice, ni avec le prévenu. C’est, plus généralement, en
insistant sur l’intégrité des juges, de la corruption que veut ici nous
prémunir Locke.
-
« [Les juges sont] appelés
à trancher tous les différends en fonction de[s] lois. » (ligne 13) :
Locke souligne que la décision des
juges ne doit avoir pour référence que le droit, que la loi du peuple Souverain
qu’il sert : le juge ne doit alors pas prendre sa décision pour des motifs
religieux par exemple, ou même sous le coup d’une émotion, d’une empathie
trop forte pour la victime par exemple. Cela pose tout de même la
question de la responsabilité du magistrat dans son travail de rendre la
justice : respecter le droit est-il toujours juste ?
-
« [Le gouvernant est
tenu] de n’employer à l’intérieur la force de la communauté que pour l’exécution de ces lois »
(lignes 13 – 14) :
Locke veut également protéger le
peuple d’un usage abusif de la force par le pouvoir exécutif dans l’Etat :
la force ne doit être employée, par les membres de ce que nous appelons
aujourd’hui le ministère de l’Intérieur, que dans la limite de ce que permet le
droit.
Pourtant, cette clause du contrat
républicain n’est pas toujours respectée, notamment aux Etats-Unis par exemple,
avec les crimes racistes commis par certains membres de la police, crimes qui
restent impunis : pour les plus tristement célèbres qui ont donné lieu à
des émeutes entre la communauté afro-américaine et la police, Freddie Gray, tué
le 12 avril 2015 à Baltimore dans le Maryland à l’âge de 25 ans ; et
Michael Brown, 18 ans, abattu le 9 août 2014 de 6 coups de feu tirés par le
policier Darren Wilson, à Ferguson dans le Missouri.
-
« [Le gouvernant est
tenu de n’employer la force] à l’extérieur [que] pour prévenir les atteintes de
l’étranger ou en obtenir réparation, afin de garantir la communauté contre les
incursions et les invasions. » (lignes 14 à 16) :
Après avoir théorisé la force
intérieure exercée par le Gouvernement, Locke pense l’emploi de la force
militaire dans la guerre : la guerre est ici légitime si elle est destinée
à protéger le peuple contre des menaces extérieures (et c’est ce qui se passe
aujourd’hui lorsque la France intervient au sol au Mali, ou par les airs en
Syrie, contre les fanatiques de Daesh et de Boko Aram), et pour « obtenir
réparation » (ligne 15) d’un dommage subi, pour dissuader, à l’avenir,
toute attaque contre notre pays. Ainsi, la guerre a des bornes fixées par la
politique, par des objectifs politiques. En cela, on peut dire que Locke
s’inscrit dans le même esprit que Clausewitz (1780 – 1831) qui, dans De la guerre, pose en principe que
« la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres
moyens ». La guerre est alors toujours conditionnée à la politique.
Clémenceau (1841 – 1929) s’inspire alors de cette pensée lorsqu’il déclare que
« la guerre est une chose trop grave pour la confier aux
militaires ».
-
« Tout ceci ne doit être
dirigé vers aucune autre fin que la
paix, la sûreté et le bien public du peuple. » (lignes 16 – 17) :
Locke ajoute alors aux impératifs
exposés par Hobbes le « bien public »
(ligne 17), c’est-à-dire l’ensemble des règles que doit respecter le gouvernant
pour être légitime aux yeux du peuple gouverné.
B
/ La raison d’Etat :
Ainsi, selon Locke, le Gouvernement
républicain au service du peuple Souverain est tenu de respecter une certaine
ligne de conduite, un certain sens de la justice dans son action politique.
Pourtant, il arrive parfois que
l’Etat doive contrevenir à ce contrat passé avec le peuple : c’est la
raison d’Etat. Ce qui relève de la raison d’Etat, c’est l’ensemble des actions
gouvernementales qui sortent du cadre du droit, de la loi, parfois même de la
morale, car l’existence même de l’Etat est directement menacé, et, par
conséquent, la sécurité du peuple avec elle. Ainsi, en cas de raison d’Etat,
tout serait permis aux services secrets de l’Etat, pour protéger l’Etat :
par exemple, dans la série des James Bond, l’agent 007 se voit accorder
le droit de tuer par la couronne anglaise. Ainsi, en cas d’urgence vitale pour
l’Etat, et donc pour le peuple, tout devient permis, et le contrat rappelé par
Locke est alors mis entre parenthèses. Hume,
philosophe anglais du XVIIIème siècle, explique alors ce en quoi
consiste cette raison d’Etat qui a encore cours aujourd’hui :
« Tous les politiques admettent, ainsi que la
plupart des philosophes, que des raisons d’Etat peuvent, en cas d’urgences
particulières, dispenser de suivre les règles de justice, et invalider tout
traité ou alliance, si les respecter strictement était considérablement
préjudiciable à l’une ou l’autre des parties contractantes. »
Hume, Enquête sur les principes de la morale,
1751
Ainsi, notamment en ce qui concerne
aujourd’hui la lutte anti-terroriste, les Etats outrepassent parfois leur
fonction en raison d’ « urgences particulières », de l’état
d’urgence, comme des perquisitions sans mandat par exemple. Bien que
l’on puisse comprendre la nécessité de tels agissements gouvernementaux, il est
un fait que de telles dispositions exceptionnelles contreviennent aux
prérogatives de l’Etat. Les réticences, aux Etats-Unis, contre le Patriot Act,
c’est-à-dire l’ensemble des dispositions de l’Etat pour renforcer le
renseignement, au détriment du droit à la vie privée des individus, nous
rappelle que l’Etat, même républicain, peut toujours devenir une menace pour le
peuple.
Transition :
Ainsi,
si le Gouvernement, même républicain, peut devenir une menace pour le peuple
gouverné, alors il est peut-être légitime d’envisager une dissolution de
l’Etat, qui n’est en rien nécessaire comme voulait nous le faire croire Hobbes
en raison de sa conception pessimiste de l’humanité. Selon Hobbes, les hommes,
semblables à des enfants, sont incapables de s’organiser en société sans
pouvoir central, sans un père qui leur dit comment se comporter, qui les
dresse. Pourtant, nous avons vu que l’Etat est le résultat d’un contrat entre
le gouvernant et le gouverné, et que ce contrat, même dans le système
républicain, peut être bafoué. Ainsi, si l’Etat n’est pas une nécessité pour
l’humanité, il faut faire confiance aux hommes et les laisser s’auto-organiser
sans institutionnaliser un pouvoir central : cela serait le début de la
Révolution qui serait une réappropriation du pouvoir par le peuple.
III
/ Vers une inutilité du Gouvernement :
Le fait politique
n’est que le résultat d’une décision consciente du peuple : ce qui nous
distingue des animaux, c’est justement le fait que notre organisation sociétale
et politique résulte, non de notre nature comme le pensait Hobbes, mais de
notre décision consciente collective. La preuve en est la diversité des
organisations politiques. Si cette organisation dépendait de notre nature, tous
les êtres humains, tous les groupes humains, s’organiseraient de la même
manière (c’est-à-dire en monarchie dans la pensée de Hobbes).
Ainsi, si le Gouvernement n’est pas
nécessaire, un produit de la nature humaine, on peut envisager le fait que les
hommes n’aient pas besoin d’être gouvernés, qu’ils puissent se passer de tout
Gouvernement.
Par exemple,
si l'on pense l'état dans lequel la totalité des
règles d'un Etat seraient intériorisées, alors le Gouvernement ne serait plus
nécessaire. Les hommes se gouverneraient eux-mêmes : ils n’auraient
pas besoin d’un Gouvernement paternaliste les sermonnant d’en-haut.
-
Le communisme :
C’est en partie ce que l’on peut
retrouver, par exemple, dans l’utopie communiste pensée par Marx, philosophe allemand du XIXème
siècle, qui aboutit à une dissolution de l’Etat. En effet, l’Etat, selon
Marx et Engels, philosophe allemand du
XIXème siècle et éditeur de Marx, n’est qu’un outil de
répression destiné à conforter la classe bourgeoise dominante en sa position.
La classe bourgeoise, dans la pensée marxiste, c’est celle qui est propriétaire
des moyens de production, comme les usines par exemple. La révolution
prolétarienne mettra alors à terre cette construction sociale qu’est l’Etat
pour la remplacer par une autre façon de vivre ensemble basée sur la
solidarité, sur la vie en communauté (communisme). Les prolétaires sont
les ouvriers exploités par le patronat bourgeois : les prolétaires ne sont
« propriétaires » que de leur « force de travail » qu’ils
sont contraints de vendre au patronat pour survivre grâce à leur
« salaire ». Ainsi, pour la pensée marxiste, le salariat est une
forme moderne d’esclavage.
-
L’anarchisme :
D’autres penseurs anarchistes, tels
que Proudhon, philosophe français du XIXème
siècle, ou Fourier [1772 –
1837], philosophe français également, ont également pensé la possibilité
d’une dissolution de l’Etat : c’est là la revendication de l’anarchisme.
Définition : Anarchisme = Doctrine politique qui préconise la suppression
de l’Etat et de toute contrainte sociale sur l’individu. L’anarchisme se
développa en Europe dans la seconde moitié du XIXème siècle.
Proudhon en fut le premier inspirateur et le russe Bakounine l’un des principaux théoriciens.
Anarchie = Absence de commandement.
Paradoxalement, alors que l’extrême
gauche revendique l’abolition de l’Etat dans une optique utopiste, l’ultra-libéralisme
prône, lui aussi, une dissolution de l’Etat. Max Stirner, philosophe allemand du XIXème siècle, par
exemple, préfère la liberté individuelle à la pression d’un Etat envahissant.
Pour l’ultra-libéralisme, il faut toujours moins d’Etat car l’Etat, c’est ce
qui freine le marché régi par les initiatives individuelles.
-
Des sociétés sans Etat :
Enfin, l’absence d’Etat n’est pas
qu’un projet : certaines sociétés ne sont que coutumières et ne sont donc
pas régies par une entité répressive qui applique des règles écrites. Penser
que l’Etat est nécessaire à toute société et, pire, qu’il est l’aboutissement
de la civilisation, c’est de l’ethnocentrisme.
Texte
de Pierre Clastres :
« Les
sociétés primitives sont des sociétés sans Etat : ce jugement de fait, en
lui-même exact, dissimule en vérité une opinion, un jugement de valeur qui
grève dès lors la possibilité de constituer une anthropologie politique comme
science rigoureuse. Ce qui en fait est énoncé, c’est que les sociétés
primitives sont privées de quelque
chose – l’Etat – qui leur est, comme à toute autre société – la nôtre par
exemple -, nécessaire. Ces sociétés sont donc incomplètes. Elles ne sont pas
tout à fait de vraies sociétés – elles ne sont pas policées -, elles subsistent dans l’expérience peut-être
douloureuse d’un manque – manque de l’Etat – qu’elles tenteraient, toujours en
vain, de combler. Plus ou moins confusément, c’est bien cela que disent les
chroniques des voyageurs et les travaux des chercheurs : on ne peut pas
penser la société sans l’Etat, l’Etat est le destin de toute société. On décèle
en cette démarche un ancrage ethnocentriste
d’autant plus solide qu’il est le plus souvent inconscient. La référence
immédiate, spontanée, c’est, sinon le mieux connu, en tout cas le plus familier.
Chacun de nous porte en effet en soi, intériorisée comme la foi du croyant,
cette certitude que la société est pour l’Etat. Comment dès lors concevoir
l’existence même des sociétés primitives, sinon comme des sortes de
laissés-pour-compte de l’histoire universelle, des survivances anachroniques
d’un stade lointain partout ailleurs depuis longtemps dépassé ? On
reconnaît ici l’autre visage de l’ethnocentrisme, la conviction complémentaire
que l’histoire est à sens unique, que toute société est condamnée à s’engager
en cette histoire et à en parcourir les étapes qui, de la sauvagerie,
conduisent à la civilisation. « Tous les peuples policés ont été
sauvages », écrit Raynal [abbé Guillaume Raynal [1713 – 1796]]. Mais le
constat d’une évolution évidente ne fonde nullement une doctrine qui, nouant
arbitrairement l’état de civilisation à la civilisation de l’Etat, désigne ce
dernier comme terme nécessaire assigné à toute société. »
Pierre Clastres
(1934 – 1977), La Société contre l’Etat, Editions de Minuit, 1974, Pages 161 – 162
Ainsi, vivre sans Etat semble
possible, et peut-être que notre civilisation actuelle y viendra à terme.
Conclusion :
Ainsi,
nous sommes maintenant en mesure de répondre en disant qu’il est un fait que
les hommes n’ont pas besoin d’être gouvernés, que le Gouvernement n’est pas une
nécessité, une conséquence inexorable de la nature humaine comme l’a pensé
Hobbes. Il nous faut sortir de cet ethnocentrisme et de cette vision pessimiste
de l’humanité qui fait de l’Etat un élément incontournable de la civilisation,
et comprendre alors qu’il n’est que le résultat d’un contrat, contrat qui peut
ne pas être mis en place pour vivre en auto-gestion. Parler de la sorte n’est
pas nécessairement une utopie, comme la civilisation de l’Etat a tendance à
nous le faire croire.
Notions étudiées :
Principales :
-
La société et l’Etat
-
La politique
Secondaires :
-
La culture
-
La religion
-
La justice et le droit
Sources :
Bibliographie :
-
Hobbes, Léviathan, 1651 ; Du
Citoyen, 1642
-
Rousseau, Du Contrat social, 1762
-
Locke, Second traité du gouvernement, 1690
-
Pierre Clastres, La Société contre l’Etat
Référence cinématographique :
-
Game of Thrones
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