jeudi 18 février 2016

Les hommes ont-ils besoin d'être gouvernés ?

-         Sujet : Les hommes ont-ils besoin d’être gouvernés ? (Série S 2004)
 
La notion de besoin implique une nécessité. Se demander si les hommes ont besoin d’être gouvernés, c’est se demander si cela est nécessaire, c’est-à-dire si cela ne peut être autrement que cela est. Le fait d’être gouverné est alors soit inéluctable, soit contingent, c’est-à-dire qu’il pourrait ne pas être.
S’il est inéluctable, alors le gouvernement est une conséquence de la nature humaine. L’homme, dans son essence, contient le gouvernement. Afin de rendre raison du gouvernement, il convient alors de faire référence à la notion de sécurité. En effet, le gouvernement, selon sa définition, encadre le peuple afin d’assurer la sécurité de celui-ci et, par-là, la survie des individus qui le composent. Le gouvernement est donc l’entité institutionnelle en charge d’assurer l’ordre social, entité qui a été mise en place par les hommes alors regroupés en société et en Etat en vue de la survie de chacun. Sans le gouvernement, sans cette entité étatique, les hommes vivraient sous la « loi » de nature, c’est-à-dire dans l’état de nature qui serait le règne de la puissance. Ainsi, étant donné qu’il ne serait pas raisonnable de vivre dans cet état de nature si l’on veut survivre, l’état civil dans lequel le gouvernement encadre les puissances présentes dans le peuple est une nécessité vitale, donc, un besoin.  
Pourtant, le fait d’être gouverné dans un Etat est le résultat d’un contrat, d’un projet commun. Le fait de contracter semble alors dépendre de volontés de différentes parties. Le contrat social implique une décision consciente qui pourrait ne pas être. Le gouvernement serait alors contingent en étant dépendant de la volonté du peuple.
         Ainsi, la question est ici de savoir si le fait d’être encadré par une entité institutionnelle étatique est une nécessité ou bien si cela dépend d’une décision consciente qui pourrait ne pas être, c’est-à-dire que les hommes pourraient vivre correctement sans nécessairement instaurer un gouvernement, un Etat.
Afin de répondre à cette question, nous verrons d’abord en quoi le gouvernement est une nécessité pour le peuple. Cependant, il conviendra de se demander quel type de gouvernement est à mettre en place : qui doit gouverner ? comment ? en vue de quoi ? Enfin, nous noterons le fait que le Gouvernement soit établi par une décision collective consciente qui pourrait être autre et nous nous interrogerons alors sur les conditions d’une absence possible de tout gouvernement.
 
I / De la nécessité de gouverner les hommes :
 
A / L’état de nature selon Hobbes :
 
Dans sa philosophie politique, Hobbes envisage un état de nature, c’est-à-dire la situation fictive dans laquelle il n’y aurait pas de gouvernement. Ainsi, l’état de nature n’est pas ce qui précède l’état civil, mais c’est ce qui serait sans cet état civil, c’est-à-dire sans l’Etat, sans gouvernement.
Sans gouvernement, les hommes laisseraient libre cours à leur licence, c’est-à-dire à leur liberté n’ayant plus de borne. Hobbes va alors parler de la liberté naturelle. La liberté naturelle serait le règne de la puissance en vue de la survie dans l’état de nature :
 
« la liberté qu’a chacun d’user comme il le veut de son pouvoir propre, pour la préservation de sa propre nature. »
Hobbes, Léviathan, 1651
 
Dans la nature, chacun cherchant à survivre, l'autre devient nécessairement un concurrent, ne serait-ce que potentiel. Hobbes pense ici une égalité naturelle des forces : en effet, le faible peut tuer le fort par sa ruse. Ainsi, l’autre est toujours à craindre : l’autre peut vouloir posséder ce que je désire, ce qui fait de lui un concurrent. L’autre étant potentiellement un danger ou un concurrent pour moi, et la meilleure défense étant l’attaque, je vais l’attaquer préventivement pour me prémunir de tout dommage. Hobbes parle alors d'une « guerre de chacun contre chacun » (Léviathan, 1651).
Cette « guerre » est d’autant plus présente qu’il y a, dans la nature humaine, le désir d’être plus puissant que l’autre :
 
« Je place au premier rang, à titre de penchant universel de tout le genre humain, un désir inquiet d’acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu’à la mort. »
Hobbes, Léviathan, 1651
 
Ainsi, dans l’état de nature, chacun chercherait à survivre et à éliminer les dangers et les concurrents potentiels pour acquérir de la puissance, pour dominer : un tel état de nature, de guerre entre individus, ne semble pas tenable sur le long terme. En effet, l’on s’épuiserait à être constamment sur ses gardes pour préserver sa place, pour se défendre d’éventuelles attaques.
L’état de nature ne serait donc pas une situation viable : Hobbes qualifie une telle situation fictive d’ « infructueuse » :
 
« Hors de la société civile, chacun jouit d’une liberté très entière, mais qui est infructueuse, parce que, comme elle donne le privilège de faire tout ce que bon nous semble, aussi laisse-t-elle aux autres la puissance de nous faire souffrir tout ce qu’il leur plaît. »
Hobbes, Du Citoyen, 1642
 
 
Ainsi, il est une nécessité pour les hommes d’éviter de sombrer dans cet état de nature, dans ce chaos violent dans lequel chacun est un ennemi potentiel pour son voisin. Pour se prémunir de l’état de nature, les hommes ont mis en place l’état civil, l’Etat, le gouvernement.
 
B / L’instauration du souverain selon Hobbes :
 
La meilleure manière pour éviter l’état de nature, selon Hobbes, est l’instauration d’un « pouvoir […] qui les tiennent tous en respect » (Léviathan, 1651). Ce pouvoir est exercé par la figure du souverain, qui, dans la pensée de Hobbes, peut être une personne (monarque), ou un ensemble de personnes s’accordant pour n’exprimer qu’une seule volonté. Ce souverain concentre la force et prive donc les individus de disposer librement de la leur propre, ce qui protège le peuple de la guerre de tous contre tous de l’état de nature. En effet, le souverain est mis en place, selon Hobbes, à la suite d’un contrat, d’une multitude de contrats passés entre les individus et le souverain : ces contrats sont des serments d’allégeance au souverain, des pactes de soumission. Cependant, pour que le souverain concentre effectivement la force et protège alors de la guerre civile (qui ravageait alors l’Angleterre, et c’est la raison pour laquelle cette partie de la philosophie politique intéresse tant Hobbes), il faut que chaque individu consente à se soumettre au même souverain : en effet, si mon voisin ne dépose pas les armes alors que je les ai déjà rendues, alors ma sécurité n’est pas pleinement assurée (or, c’est là le rôle du souverain qui concentre la force). Il faut alors que chacun se soumette, et, s’il y a des récalcitrants, il faut que le souverain nous en protège en exerçant sa force légitimée par nous. Le souverain a alors pour rôle d’exercer le pouvoir sur l’ensemble de son peuple, de lui assurer la sécurité en mettant tout en œuvre pour éviter la guerre civile, et, pour ce faire, il a alors pour fonction principale d’unifier le peuple. Le souverain est le garant de l’unité du peuple en tant que peuple, pour ne pas qu’il sombre dans des luttes intestines. Ce rôle d’unificateur du souverain est représenté par Hobbes par la référence au Léviathan, monstre marin légendaire, dans le titre, et notamment sur la couverture de son œuvre :
 

 
Ici, le corps du souverain est constitué par le peuple (le souverain étant la tête, et les individus constituant le peuple étant les écailles du Léviathan) : c’est l’existence même du souverain qui constitue le peuple en tant que tel. L’unité du peuple est assurée par le souverain qui concentre deux pouvoirs essentiels ici pour régner sur le pays : le pouvoir politique, militaire, représenté par l’épée ; et le pouvoir religieux, représenté par le sceptre. En effet, pour éviter toute lutte interne au peuple, il faut se prémunir de ce qui peut causer la division. Or, la différence des croyances et des pratiques religieuses peut être la cause de tensions menaçant la paix civile. Ainsi, Hobbes défend, non pas la solution que la France adoptera, c’est-à-dire la laïcité, la relégation de la religion dans la sphère privée de l’individu qui doit s’effacer devant les institutions publiques, mais l’unité religieuse du peuple : le peuple devra adopter la religion de son souverain, publiquement au moins. Selon Hobbes, la concentration du pouvoir physique n’est pas suffisante : il ne suffit pas d’unifier les corps, il faut aussi unifier les âmes, pour se protéger de l’état de nature. Ainsi :
 
« Le droit politique et ecclésiastique des souverains chrétiens sont indivisibles. ».
Hobbes, Léviathan, III : « De l’Etat chrétien. », Chapitre 42
 
 
Etude de texte : Hobbes, Léviathan, II, XVII : Léviathan
 
«       La cause finale, fin ou but des humains (lesquels aiment naturellement la liberté et avoir de l’autorité sur les autres), en s’imposant à eux-mêmes cette restriction (par laquelle on les voit vivre dans des Etats), est la prévoyance de ce qui assure leur propre préservation et plus de satisfaction dans la vie ; autrement dit de sortir de ce misérable état de guerre qui est, comme on l’a montré, une conséquence nécessaire des passions naturelles qui animent les humains quand il n’y a pas de puissance visible pour les maintenir en respect et pour qu’ils se tiennent à l’exécution de leurs engagements contractuels par peur du châtiment […]
Le seul moyen d’établir pareille puissance commune, capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres et, ainsi, les protéger de telle sorte que, par leur industrie propre et les fruits de la terre, ils puissent se suffire à eux-mêmes et vivre satisfaits, est de rassembler toute leur force sur un homme ou sur une assemblée d’hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes leurs volontés à une seule volonté ; ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée d’hommes, pour porter leur personne ; et chacun fait sienne et reconnaît être lui-même l’auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et relevant de ces choses qui concernent la paix commune et la sécurité ; par là même, tous et chacun d’eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C’est plus que le consentement ou la concorde ; il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude, ainsi unie en une personne une, est appelée un Etat, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense. »
 
Hobbes, Léviathan, 1651, II, XVII, Traduction G. Mairet, Folio essais, Pages 281 à 288
 
 
Introduction :
 
         Dans cet extrait du Léviathan, Hobbes théorise ce que, pour lui, doit être le rôle du souverain, et comment il doit être mis en place.
Hobbes estime que la fonction principale de ce souverain est de garantir la sécurité à chaque individu, à chacun de ses sujets, en évitant que surgisse la guerre civile. Pour ce faire, il faut que les particuliers composants le peuple se soumettent absolument au souverain qui est alors le garant de l’unité du peuple, de l’existence même du peuple en tant que peuple.
         La question est alors ici de savoir pourquoi l’instauration de souverain est une nécessité, et comment elle doit se mettre en place.
         Afin de répondre à cette question, nous verrons d’abord la raison de la nécessité du souverain (lignes 1 à 13). Par la suite, nous étudierons comment celui-ci doit être mis en place, par quel type de contrat (lignes 13 à 22). Enfin, nous pourrons dire quel est l’Etat défendu par la philosophie politique de Hobbes (lignes 22 à 25).
 
-         « humains (lesquels aiment naturellement la liberté et avoir de l’autorité sur les autres) » (lignes 1 – 2) :
 
La philosophie politique de Hobbes prend racine dans sa conception de la nature de l’homme. Hobbes part de deux principes :
-         L’homme aime « naturellement la liberté » (ligne 1), c’est-à-dire, ici, la licence, la liberté sans borne, la liberté naturelle.
-         L’homme aime « avoir de l’autorité sur les autres », c’est-à-dire exercer un pouvoir sur l’autre, posséder une certaine puissance.
Ainsi, il y a un désir naturel de domination chez chacun de nous, ce qui est le terreau favorable à l’état de nature qui nous menace, à la guerre de tous contre tous pour obtenir cette place dominante.
 
-         « s’imposant à eux-mêmes cette restriction (par laquelle on les voit vivre dans des Etats) » (lignes 2 – 3) :
 
Hobbes relève alors que, pour éviter de sombrer dans cette guerre de tous contre tous, les hommes s’imposent « à eux-mêmes cette restriction » (ligne 2) qu’est l’Etat : c’est l’état civil. En effet, l’Etat est une restriction des deux composantes de la nature humaine relevées précédemment : la liberté absolue, et le désir de puissance. Dans l’état civil, l’homme ne fait plus ce qu’il désire, et délègue sa puissance à la puissance centrale.
 
-         « [La cause finale, fin ou but des humains] est la prévoyance de ce qui assure leur propre préservation et plus de satisfaction dans la vie. » (lignes 3 – 4) :
 
Ce qui a poussé les hommes à vivre dans l’état civil, c’est donc leur esprit de « prévoyance » (ligne 3) qui cherche leur survie et leur « satisfaction » (ligne 4) maximale. Ainsi, la survie serait plus aisée dans l’état civil que dans l’état de nature où tout tiers est un potentiel danger pour soi. De même, il serait plus satisfaisant de ne pas disposer d’une liberté totale, mais d’une liberté civile, car, au moins, nous sommes protégés de l’autre : la liberté naturelle, absolue, n’est que celle de se faire tuer.
 
-         « Autrement dit de sortir de ce misérable état de guerre qui est, comme on l’a montré, une conséquence nécessaire des passions naturelles qui animent les humains quand il n’y a pas de puissance visible pour les maintenir en respect » (lignes 4 à 6) :
 
Ainsi, l’état civil, l’Etat, est instauré par les hommes pour éviter l’état de nature qui serait inexorable en raison des passions humaines (pour la liberté absolue et le pouvoir) : cet Etat est alors la « puissance visible » (ligne 6) qui maintient « en respect ». L’important est en effet que cette puissance soit visible pour être dissuasive.
 
-         « et pour qu’ils se tiennent à l’exécution de leurs engagements contractuels par peur du châtiment » (lignes 6 – 7) :
 
Le rôle de l’Etat n’est pas seulement d’éviter l’état de nature : c’est aussi de faire respecter la justice au sein du peuple, par la menace de la sanction. En effet, il serait juste que chacun tienne sa parole au sein du peuple, et, pour cela, l’Etat peut punir les contrevenants, en vue de rendre effectif l’idéal de justice.
 
-         « pareille puissance commune, capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres et, ainsi, les protéger » (lignes 8 à 10) :
 
En plus de ce rôle de magistrat, l’Etat a également pour fonction de protéger le peuple, non seulement en évitant toute guerre civile, mais aussi en le défendant contre les invasions, contre ses ennemis extérieurs. Ainsi, il est du ressort de l’Etat, de son responsable, de faire la guerre, de la déclarer, et de la faire cesser : la guerre est alors un acte politique.
 
-         « les protéger de telle sorte que, par leur industrie propre et les fruits de la terre, ils puissent se suffire à eux-mêmes et vivre satisfaits » (lignes 9 à 11) :
 
La protection assurée par l’Etat contre la guerre civile et contre les attaques venues de l’extérieur a pour intérêt principal de permettre la prospérité économique du pays : en effet, un pays en paix peut davantage travailler sereinement, et, ainsi, se développer, progresser. L’objectif, selon Hobbes, sur le plan économique, est alors l’auto-suffisance.
 
-         « [Le seul moyen d’établir pareille puissance commune] est de rassembler toute leur force sur un homme ou sur une assemblée d’hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes leurs volontés à une seule volonté. » (lignes 11 à 13) :
 
Le seul moyen de mettre en place cet Etat qui a pour fonction d’éviter la guerre civile, les invasions, de permettre la prospérité économique et d’assurer la justice, c’est l’instauration du souverain qui est soit un monarque, soit une « assemblée d’hommes » (ligne 12) n’exprimant qu’une seule volonté.
 
 
-         II / « Ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée d’hommes, pour porter leur personne. » (lignes 13 – 14) :
 
Le rôle du souverain est alors de « porter » (ligne 14) le peuple, chaque individu du peuple, c’est-à-dire le représenter. Le peuple s’unifie alors, se constitue même, grâce à la figure du souverain qui l’incarne.
 
-         « Et chacun fait sienne et reconnaît être lui-même l’auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et relevant de ces choses qui concernent la paix commune et la sécurité. » (lignes 14 à 16) :
 
Le souverain étant le symbole de l’unité du peuple, de l’existence même du peuple en tant que peuple, chaque sujet doit comme faire sienne chaque action, chaque décision de son souverain. En effet, si un individu, ou pire, un groupe d’individus, se permet de contester les actes du souverain avec lesquels il ne serait pas en accord, alors cela donnerait lieu à un terrain favorable aux tensions internes au peuple, et, par conséquent, à la guerre civile tant redoutée. Ainsi, il faut que tous se rangent derrière le souverain, sans contester. Hobbes est alors ici défenseur d’une « monarchie » absolue, même si le souverain n’est pas nécessairement un monarque.
 
-         « Par là même, tous et chacun d’eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C’est plus que le consentement ou la concorde ; il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne » (lignes 16 à 18) :
 
Hobbes souligne alors que la soumission au souverain doit être totale, essentiellement pour éviter toute tension interne à la société : le sujet doit faire siens les actes, les décisions, les « volontés » (ligne 17), les « jugements » du souverain, bref, sa personne doit se fondre en celle de son souverain. Le peuple ne doit alors exister qu’au travers de son souverain par lequel il est uni, par lequel il existe en tant que peuple.
 
-         « [l’unité réelle de tous en une seule et même personne est] faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière. » (lignes 18 à 22) :
 
Hobbes met alors la condition sine qua non à l’instauration du souverain : le fait que chaque sujet doit accepter de se soumettre, sous peine de ne pas connaître tous les bienfaits de l’état civil, et de rester alors menacé par l’état de nature. En effet, si mon voisin ne se soumet pas, alors il est dangereux pour moi. Ainsi, tout le monde doit se soumettre. Si un individu ne se soumet pas, alors il devra être éliminé par le souverain, ou ne serait-ce qu’écarté.
 
 
-         III / « Cela fait, la multitude, ainsi unie en une personne une, est appelée un Etat, en latin CIVITAS. » (lignes 22 – 23) :
 
L’instauration du souverain pensée par Hobbes permet alors la naissance de l’Etat, du peuple organisé en tant que peuple.
 
-         « Telle est la génération de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense. » (lignes 23 à 25) :
 
Le souverain est alors comparé au Léviathan, ce monstre marin légendaire, et est qualifié de « dieu mortel » (ligne 24), c’est-à-dire que le souverain est la personne sur Terre à laquelle nous devons presque le même respect que nous devons à Dieu, car nous lui devons notre sécurité, notre survie, l’état civil. Ainsi, on peut dire que Hobbes défend la « monarchie » absolue de droits divins : la personne du souverain est sacralisée. Le souverain n’est alors plus comme les simples mortels : sa personne, son corps, ses paroles, ses actes, sont sacrés.
 
Ainsi, selon Hobbes, les hommes semblent avoir besoin d’être gouvernés, pour survivre, pour exister en tant que peuple : l’instauration du souverain absolu est alors une nécessité, la seule solution envisageable.
 
Transition :
 
Cependant, un tel régime politique, alors qu’il est censé protéger le peuple, remplit-il réellement ce rôle ? Le peuple est-il réellement à l’abri, en sécurité, grâce au souverain sacré ? L’existence même d’un tel souverain, auquel il faut obéir aveuglément en respectant ses actes, ses décisions, ses volontés, ses jugements, sa religion, ne met-elle pas en cause la sécurité même du peuple ? La plus grande menace pour le peuple ne serait alors pas la guerre civile, mais le pouvoir du souverain qui deviendrait tyrannique, le fait d’être soumis au bon plaisir de ce souverain : le danger que représente le souverain, et les tensions qui en découlent, sont présents dans les différentes critiques classiques contre l’absolutisme, et, plus récemment, sont illustrés dans un extrait de la série Game Of Thrones.
 
Extrait vidéo : Saison 2, Episode 6 : 23,50 à 27,30 (2 minutes et 40 secondes)
 
Dans cet extrait, le roi Geoffrey n’assure pas la prospérité économique de son peuple en engageant une guerre en raison de son orgueil personnel, n’assure alors plus la survie de son peuple en ne lui permettant pas de subvenir lui-même à ses besoins, et décide, en représailles d’avoir été humilié en public par la foule, de les mettre tous à mort. Ainsi, le roi est ici ce qui prive le peuple de sécurité, par ses mauvaises décisions, orgueilleuses. La main du roi (équivalent au premier ministre), Tyrion, le rappelle alors à l’ordre en lui montrant que le roi a des obligations envers son peuple, comme l’exposait Hobbes. En giflant le roi, Tyrion porte atteinte à la personne sacrée du souverain pour bien lui rappeler que le roi n’est sacré qu’en tant qu’il remplit son rôle essentiel : assurer la survie et la satisfaction du peuple. Si le roi ne remplit plus son rôle, il sera, nécessairement, destitué par la révolte populaire.
Ainsi, il nous faut souligner que le peuple n’a pas besoin d’être dominé par le souverain comme le prétend Hobbes, mais d’être dirigé par un gouvernement qui respecte le contrat social passé entre le(s) dirigeant(s) et le peuple dirigé.
 
II / Les critères de légitimité du gouvernement :
 
Pour Hobbes, le seul critère pour que le gouvernement, assuré par le souverain, soit légitime, c’est qu’il assure la sécurité et la satisfaction au peuple.
Or, pour ce faire, il faudrait un despote éclairé, ce qui, manifestement, n’est pas toujours le cas.
 
A / Le Gouvernement républicain :
 
Rousseau, propose alors l’institution d’un autre Gouvernement qui n’est pas dirigiste mais exécutif. En effet, selon Rousseau, le contrat hobbesien n’est qu’un contrat de soumission des individus à la personne du souverain. Or, la soumission est inenvisageable pour Rousseau car, selon lui, la liberté est inaliénable :
 
         Texte de Rousseau :
 
« Renoncer à sa liberté c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs. Il n'y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l'homme, et c'est ôter toute moralité à ses actions que d'ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c'est une convention vaine et contradictoire de stipuler d'une part une autorité absolue et de l'autre une obéissance sans borne. N'est-il pas clair qu'on n'est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette seule condition, sans équivalent, sans échange n'entraîne-t-elle pas la nullité de l'acte ? Car quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce qu'il a m'appartient, et que son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n'a aucun sens ? »

Rousseau
 
Selon Rousseau, l’obéissance aveugle au souverain à laquelle exhorte Hobbes implique la nullité du contrat passé entre le sujet et le souverain : en effet, le souverain, dans la pensée politique de Hobbes, est dans une position qui lui permet de ne répondre de rien, de ne pas assumer ses responsabilités et, alors, de se comporter en tyran, au détriment du peuple.
Ainsi, dans Du contrat social (1762), Rousseau propose, non pas d’établir un souverain à la manière de Hobbes, mais que chaque individu passe un contrat avec tous les autres individus du peuple, un contrat d’association, pour que le peuple se constitue en tant que tel sans en appeler à une figure centrale et supérieure fédératrice : le peuple existe parce qu’il en a décidé ainsi. Le modèle du contrat proposé par Rousseau est alors horizontal, et non plus celui d’une multitude de contrats verticaux passés entre les sujets et le souverain. Ainsi, en s’unissant à tous les autres, on ne délègue pas sa liberté à un supérieur : il s’agit ici de faire corps avec les autres. Ainsi, si un élément de la communauté nationale est attaqué, c’est toute la Nation qui l’est. Dans ce modèle républicain, il n’y a alors pas de souverain supérieur au peuple : c’est le peuple lui-même qui est son propre Souverain. Le peuple est dit Souverain car il est véritablement libre, c’est-à-dire qu’il peut obéir à ses propres règles (et non à d’autres règles qui lui seraient extérieures). Il importe ici de rappeler la distinction entre la liberté et la licence, comme le fait Rousseau en nous disant qu’un peuple qui suivrait constamment ses désirs de manière anarchique serait esclave, alors que le peuple qui se discipline lui-même, qui s’impose son propre cadre est, lui, pleinement, véritablement, libre :
 
« l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. »
Rousseau
 
Ainsi, comme il y a tout de même un Souverain, un décideur, il y a également un exécutant, un Gouvernement : ici, le Gouvernement n’est qu’un appendice de l’Etat, c’est-à-dire du pouvoir exécutif chargé de faire appliquer la volonté du peuple Souverain. Le Gouvernement au service du peuple Souverain est alors composé de « ministres ». L’étymologie du terme « ministre » est alors ici à noter car « ministre » vient du latin minister qui signifie « serviteur », c’est-à-dire, ici, serviteur de la volonté du peuple.
Ces serviteurs se doivent alors de respecter certains principes dans leur action républicaine, pour être légitimes : on appelle cela, aujourd’hui, l’exemplarité en politique. Ces principes de l’action politique républicaine sont exposés par Locke, philosophe anglais du XVIIème siècle :
 
Texte de Locke :
 
« S’il est vrai qu’en entrant en société, les hommes abandonnent l’égalité, la liberté, le pouvoir exécutif qu’ils possédaient dans l’état de nature, et qu’ils les remettent entre les mains de la société pour que le législatif en dispose selon que le bien de cette même société l’exigera, il reste cependant que chacun ne le fait que dans l’intention de préserver d’autant mieux sa personne, sa liberté et sa propriété (car on ne peut supposer qu’une créature rationnelle change de situation dans l’intention de la rendre). Le pouvoir de la société, ou du législatif qu’elle institue, ne peut jamais être censé s’étendre au-delà de ce que requiert le bien commun ; il est obligé de garantir la propriété de chacun, en remédiant aux trois défauts que nous avons mentionnés ci-dessus, et qui rendaient l’état de nature si incertain et si inconfortable. Par conséquent, quiconque détient le législatif ou le pouvoir suprême de la république est tenu de gouverner selon des lois fixes et établies, promulguées et connues du peuple, et non par des décrets improvisés ; de gouverner par le moyen de juges impartiaux et intègres, appelés à trancher tous les différends en fonction de ces lois ; enfin, de n’employer à l’intérieur la force de la communauté que pour l’exécution de ces lois, et à l’extérieur pour prévenir les atteintes de l’étranger ou en obtenir réparation, afin de garantir la communauté contre les incursions et les invasions. Tout ceci ne doit être dirigé vers aucune autre fin que la paix, la sûreté et le bien public du peuple. »
 
Locke, Second traité du gouvernement, 1690
 
Il est à noter, d’abord, que Locke rajoute une raison que Hobbes ne propose pas pour expliquer la raison d’être de l’état civil : la « propriété » (ligne 5). En effet, dans un hypothétique état de nature, cela serait le règne de la possession, et non de la propriété garantie par le droit, droit qui n’existe que dans l’état civil, que grâce à la présence de l’Etat qui veille pour le défendre.
Locke pose alors les principes d’action du pouvoir politique dans un contexte républicain, c’est-à-dire les termes du contrat qu’il doit respecter vis-à-vis de son peuple qu’il sert, qui a bien voulu l’instituer pour le servir :
 
-         « [Le pouvoir] ne peut jamais être censé s’étendre au-delà de ce que requiert le bien commun. » (lignes 7 – 8) :
 
Ainsi, le gouvernement n’œuvre plus que pour la sécurité et la satisfaction du peuple comme le pensait Hobbes, mais œuvre pour le « bien commun » (ligne 8) qui est une notion plus large. C’est là les prémices de ce que l’on appellera le welfare state (Etat-Providence) qui sert le bien-être, et même le bonheur du peuple, rôle qui n’était pas présent dans la pensée de Hobbes.
 
-         « Il est obligé de garantir la propriété de chacun » (ligne 8) :
 
En effet, le droit à la propriété et à ce que l’Etat défende notre bien est l’une des raisons de l’institution de l’état civil : si le Gouvernement n’assure plus ce droit, alors c’est l’état de nature qui nous menace, et l’Etat n’existe déjà plus en ne remplissant pas sa fonction.
 
-         « [Le gouvernant] est tenu de gouverner selon des lois fixes et établies » (ligne 11) :
 
Locke veut ici prémunir le système républicain contre la volatilité des lois que l’on pourrait connaître en monarchie : en effet, en monarchie, la loi est changeante, au gré des humeurs, du bon plaisir du roi. Or, la République fixe ses lois pour ne pas avoir à subir l’arbitraire royal. De plus, une telle fixité des lois permet de voir à plus long terme, d’anticiper, de prévoir.
 
-         « [Les lois doivent être] promulguées et connues du peuple » (lignes 11 – 12) :
 
En plus d’être fixes pour lutter contre les « décrets improvisés » (ligne 12) du roi, les lois doivent être publiées et connues du peuple qui doit les respecter. En effet, dans une république basée sur la représentation nationale (et non sur la démocratie directe), le peuple doit être mis au courant des lois que le parlement a voté pour pouvoir obéir, en réalité, à sa propre volonté. Aujourd’hui, une telle publication des lois passe par le Journal Officiel.
 
-         « [Le gouvernant des tenu] de gouverner par le moyen de juges impartiaux et intègres » (lignes 12 – 13) :
 
Locke précise alors ce que doit être le fonctionnement de la justice dans le système républicain : les juges se doivent d’être et de rester neutres dans le jugement qu’ils rendent, c’est-à-dire de ne pas avoir de connivence, ni avec la partie accusatrice, ni avec le prévenu. C’est, plus généralement, en insistant sur l’intégrité des juges, de la corruption que veut ici nous prémunir Locke.
 
-         « [Les juges sont] appelés à trancher tous les différends en fonction de[s] lois. » (ligne 13) :
 
Locke souligne que la décision des juges ne doit avoir pour référence que le droit, que la loi du peuple Souverain qu’il sert : le juge ne doit alors pas prendre sa décision pour des motifs religieux par exemple, ou même sous le coup d’une émotion, d’une empathie trop forte pour la victime par exemple. Cela pose tout de même la question de la responsabilité du magistrat dans son travail de rendre la justice : respecter le droit est-il toujours juste ?
 
-         « [Le gouvernant est tenu] de n’employer à l’intérieur la force de la communauté que pour l’exécution de ces lois » (lignes 13 – 14) :
 
Locke veut également protéger le peuple d’un usage abusif de la force par le pouvoir exécutif dans l’Etat : la force ne doit être employée, par les membres de ce que nous appelons aujourd’hui le ministère de l’Intérieur, que dans la limite de ce que permet le droit.
Pourtant, cette clause du contrat républicain n’est pas toujours respectée, notamment aux Etats-Unis par exemple, avec les crimes racistes commis par certains membres de la police, crimes qui restent impunis : pour les plus tristement célèbres qui ont donné lieu à des émeutes entre la communauté afro-américaine et la police, Freddie Gray, tué le 12 avril 2015 à Baltimore dans le Maryland à l’âge de 25 ans ; et Michael Brown, 18 ans, abattu le 9 août 2014 de 6 coups de feu tirés par le policier Darren Wilson, à Ferguson dans le Missouri.
 
 
 
 
-         « [Le gouvernant est tenu de n’employer la force] à l’extérieur [que] pour prévenir les atteintes de l’étranger ou en obtenir réparation, afin de garantir la communauté contre les incursions et les invasions. » (lignes 14 à 16) :
 
Après avoir théorisé la force intérieure exercée par le Gouvernement, Locke pense l’emploi de la force militaire dans la guerre : la guerre est ici légitime si elle est destinée à protéger le peuple contre des menaces extérieures (et c’est ce qui se passe aujourd’hui lorsque la France intervient au sol au Mali, ou par les airs en Syrie, contre les fanatiques de Daesh et de Boko Aram), et pour « obtenir réparation » (ligne 15) d’un dommage subi, pour dissuader, à l’avenir, toute attaque contre notre pays. Ainsi, la guerre a des bornes fixées par la politique, par des objectifs politiques. En cela, on peut dire que Locke s’inscrit dans le même esprit que Clausewitz (1780 – 1831) qui, dans De la guerre, pose en principe que « la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens ». La guerre est alors toujours conditionnée à la politique. Clémenceau (1841 – 1929) s’inspire alors de cette pensée lorsqu’il déclare que « la guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires ».
 
-         « Tout ceci ne doit être dirigé vers aucune autre fin que la paix, la sûreté et le bien public du peuple. » (lignes 16 – 17) :
 
Locke ajoute alors aux impératifs exposés par Hobbes le « bien public » (ligne 17), c’est-à-dire l’ensemble des règles que doit respecter le gouvernant pour être légitime aux yeux du peuple gouverné.
 
B / La raison d’Etat :
 
Ainsi, selon Locke, le Gouvernement républicain au service du peuple Souverain est tenu de respecter une certaine ligne de conduite, un certain sens de la justice dans son action politique.
Pourtant, il arrive parfois que l’Etat doive contrevenir à ce contrat passé avec le peuple : c’est la raison d’Etat. Ce qui relève de la raison d’Etat, c’est l’ensemble des actions gouvernementales qui sortent du cadre du droit, de la loi, parfois même de la morale, car l’existence même de l’Etat est directement menacé, et, par conséquent, la sécurité du peuple avec elle. Ainsi, en cas de raison d’Etat, tout serait permis aux services secrets de l’Etat, pour protéger l’Etat : par exemple, dans la série des James Bond, l’agent 007 se voit accorder le droit de tuer par la couronne anglaise. Ainsi, en cas d’urgence vitale pour l’Etat, et donc pour le peuple, tout devient permis, et le contrat rappelé par Locke est alors mis entre parenthèses. Hume, philosophe anglais du XVIIIème siècle, explique alors ce en quoi consiste cette raison d’Etat qui a encore cours aujourd’hui :
 
« Tous les politiques admettent, ainsi que la plupart des philosophes, que des raisons d’Etat peuvent, en cas d’urgences particulières, dispenser de suivre les règles de justice, et invalider tout traité ou alliance, si les respecter strictement était considérablement préjudiciable à l’une ou l’autre des parties contractantes. »
Hume, Enquête sur les principes de la morale, 1751
 
Ainsi, notamment en ce qui concerne aujourd’hui la lutte anti-terroriste, les Etats outrepassent parfois leur fonction en raison d’ « urgences particulières », de l’état d’urgence, comme des perquisitions sans mandat par exemple. Bien que l’on puisse comprendre la nécessité de tels agissements gouvernementaux, il est un fait que de telles dispositions exceptionnelles contreviennent aux prérogatives de l’Etat. Les réticences, aux Etats-Unis, contre le Patriot Act, c’est-à-dire l’ensemble des dispositions de l’Etat pour renforcer le renseignement, au détriment du droit à la vie privée des individus, nous rappelle que l’Etat, même républicain, peut toujours devenir une menace pour le peuple.
 
Transition :
 
         Ainsi, si le Gouvernement, même républicain, peut devenir une menace pour le peuple gouverné, alors il est peut-être légitime d’envisager une dissolution de l’Etat, qui n’est en rien nécessaire comme voulait nous le faire croire Hobbes en raison de sa conception pessimiste de l’humanité. Selon Hobbes, les hommes, semblables à des enfants, sont incapables de s’organiser en société sans pouvoir central, sans un père qui leur dit comment se comporter, qui les dresse. Pourtant, nous avons vu que l’Etat est le résultat d’un contrat entre le gouvernant et le gouverné, et que ce contrat, même dans le système républicain, peut être bafoué. Ainsi, si l’Etat n’est pas une nécessité pour l’humanité, il faut faire confiance aux hommes et les laisser s’auto-organiser sans institutionnaliser un pouvoir central : cela serait le début de la Révolution qui serait une réappropriation du pouvoir par le peuple.
 
III / Vers une inutilité du Gouvernement :
 
Le fait politique n’est que le résultat d’une décision consciente du peuple : ce qui nous distingue des animaux, c’est justement le fait que notre organisation sociétale et politique résulte, non de notre nature comme le pensait Hobbes, mais de notre décision consciente collective. La preuve en est la diversité des organisations politiques. Si cette organisation dépendait de notre nature, tous les êtres humains, tous les groupes humains, s’organiseraient de la même manière (c’est-à-dire en monarchie dans la pensée de Hobbes).
Ainsi, si le Gouvernement n’est pas nécessaire, un produit de la nature humaine, on peut envisager le fait que les hommes n’aient pas besoin d’être gouvernés, qu’ils puissent se passer de tout Gouvernement.
Par exemple, si l'on pense l'état dans lequel la totalité des règles d'un Etat seraient intériorisées, alors le Gouvernement ne serait plus nécessaire. Les hommes se gouverneraient eux-mêmes : ils n’auraient pas besoin d’un Gouvernement paternaliste les sermonnant d’en-haut.
 
-         Le communisme :
 
C’est en partie ce que l’on peut retrouver, par exemple, dans l’utopie communiste pensée par Marx, philosophe allemand du XIXème siècle, qui aboutit à une dissolution de l’Etat. En effet, l’Etat, selon Marx et Engels, philosophe allemand du XIXème siècle et éditeur de Marx, n’est qu’un outil de répression destiné à conforter la classe bourgeoise dominante en sa position. La classe bourgeoise, dans la pensée marxiste, c’est celle qui est propriétaire des moyens de production, comme les usines par exemple. La révolution prolétarienne mettra alors à terre cette construction sociale qu’est l’Etat pour la remplacer par une autre façon de vivre ensemble basée sur la solidarité, sur la vie en communauté (communisme). Les prolétaires sont les ouvriers exploités par le patronat bourgeois : les prolétaires ne sont « propriétaires » que de leur « force de travail » qu’ils sont contraints de vendre au patronat pour survivre grâce à leur « salaire ». Ainsi, pour la pensée marxiste, le salariat est une forme moderne d’esclavage.
 
-         L’anarchisme :
 
D’autres penseurs anarchistes, tels que Proudhon, philosophe français du XIXème siècle, ou Fourier [1772 – 1837], philosophe français également, ont également pensé la possibilité d’une dissolution de l’Etat : c’est là la revendication de l’anarchisme.
 
Définition : Anarchisme = Doctrine politique qui préconise la suppression de l’Etat et de toute contrainte sociale sur l’individu. L’anarchisme se développa en Europe dans la seconde moitié du XIXème siècle. Proudhon en fut le premier inspirateur et le russe Bakounine l’un des principaux théoriciens.
Anarchie = Absence de commandement.
 
 
Paradoxalement, alors que l’extrême gauche revendique l’abolition de l’Etat dans une optique utopiste, l’ultra-libéralisme prône, lui aussi, une dissolution de l’Etat. Max Stirner, philosophe allemand du XIXème siècle, par exemple, préfère la liberté individuelle à la pression d’un Etat envahissant. Pour l’ultra-libéralisme, il faut toujours moins d’Etat car l’Etat, c’est ce qui freine le marché régi par les initiatives individuelles.
 
-         Des sociétés sans Etat :
 
Enfin, l’absence d’Etat n’est pas qu’un projet : certaines sociétés ne sont que coutumières et ne sont donc pas régies par une entité répressive qui applique des règles écrites. Penser que l’Etat est nécessaire à toute société et, pire, qu’il est l’aboutissement de la civilisation, c’est de l’ethnocentrisme.
 
         Texte de Pierre Clastres :
 
«    Les sociétés primitives sont des sociétés sans Etat : ce jugement de fait, en lui-même exact, dissimule en vérité une opinion, un jugement de valeur qui grève dès lors la possibilité de constituer une anthropologie politique comme science rigoureuse. Ce qui en fait est énoncé, c’est que les sociétés primitives sont privées de quelque chose – l’Etat – qui leur est, comme à toute autre société – la nôtre par exemple -, nécessaire. Ces sociétés sont donc incomplètes. Elles ne sont pas tout à fait de vraies sociétés – elles ne sont pas policées -, elles subsistent dans l’expérience peut-être douloureuse d’un manque – manque de l’Etat – qu’elles tenteraient, toujours en vain, de combler. Plus ou moins confusément, c’est bien cela que disent les chroniques des voyageurs et les travaux des chercheurs : on ne peut pas penser la société sans l’Etat, l’Etat est le destin de toute société. On décèle en cette démarche un ancrage ethnocentriste d’autant plus solide qu’il est le plus souvent inconscient. La référence immédiate, spontanée, c’est, sinon le mieux connu, en tout cas le plus familier. Chacun de nous porte en effet en soi, intériorisée comme la foi du croyant, cette certitude que la société est pour l’Etat. Comment dès lors concevoir l’existence même des sociétés primitives, sinon comme des sortes de laissés-pour-compte de l’histoire universelle, des survivances anachroniques d’un stade lointain partout ailleurs depuis longtemps dépassé ? On reconnaît ici l’autre visage de l’ethnocentrisme, la conviction complémentaire que l’histoire est à sens unique, que toute société est condamnée à s’engager en cette histoire et à en parcourir les étapes qui, de la sauvagerie, conduisent à la civilisation. « Tous les peuples policés ont été sauvages », écrit Raynal [abbé Guillaume Raynal [1713 – 1796]]. Mais le constat d’une évolution évidente ne fonde nullement une doctrine qui, nouant arbitrairement l’état de civilisation à la civilisation de l’Etat, désigne ce dernier comme terme nécessaire assigné à toute société. »
 
Pierre Clastres (1934 – 1977), La Société contre l’Etat, Editions de Minuit, 1974, Pages 161 – 162
 
 
Ainsi, vivre sans Etat semble possible, et peut-être que notre civilisation actuelle y viendra à terme.
 
 
Conclusion :
 
         Ainsi, nous sommes maintenant en mesure de répondre en disant qu’il est un fait que les hommes n’ont pas besoin d’être gouvernés, que le Gouvernement n’est pas une nécessité, une conséquence inexorable de la nature humaine comme l’a pensé Hobbes. Il nous faut sortir de cet ethnocentrisme et de cette vision pessimiste de l’humanité qui fait de l’Etat un élément incontournable de la civilisation, et comprendre alors qu’il n’est que le résultat d’un contrat, contrat qui peut ne pas être mis en place pour vivre en auto-gestion. Parler de la sorte n’est pas nécessairement une utopie, comme la civilisation de l’Etat a tendance à nous le faire croire.
 
 
Notions étudiées :
 
Principales :
 
-         La société et l’Etat
-         La politique
 
Secondaires :
 
-         La culture
-         La religion
-         La justice et le droit
 
 
Sources :
 
Bibliographie :
 
-         Hobbes, Léviathan, 1651 ; Du Citoyen, 1642
 
-         Rousseau, Du Contrat social, 1762
 
-         Locke, Second traité du gouvernement, 1690
 
-         Pierre Clastres, La Société contre l’Etat
 
Référence cinématographique :
 
-         Game of Thrones
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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