Je n'ai rédigé que le premier sujet de la série ES sur le désir que je considère être le sujet le plus riche. Pour les autres sujets, notamment pour la série S, je renvoie beaucoup au cours, et me suis donc dispensé de tout rédiger.
Bonne lecture.
BAC 2016 ES :
Sujet 1 : « Savons-nous toujours ce que nous
désirons ? »
Remarques préalables :
La question porte essentiellement sur
les objets de nos désirs (« ce que nous désirons »), plutôt que sur
le désir lui-même. Ainsi, il ne fallait pas réciter la totalité de son cours
sur le désir sans relier ce propos à la question posée : il ne s’agit pas
d’une dissertation sur le désir « en général ».
Se
demander si nous savons toujours ce que nous désirons pose au moins deux
questions : y a-t-il des situations, des moments durant lesquels nous ne
savons plus ce que nous désirons réellement ? Et : y a-t-il des
désirs qui échappent à toute représentation limpide de ce qui est désiré ?
« Toujours » signifie alors ici, soit, « peu importe le désir en
question » ; soit, « peu importe la situation dans laquelle nous
nous trouvons ». Il nous semble d’abord
étonnant, presque absurde, de se demander si nous savons toujours ce que nous
désirons. En effet, si nous désirons quelque chose, ou quelqu’un, nous savons
bien ce que nous désirons. On imagine mal quelqu’un désirer sans savoir, sans
avoir conscience de ce qu’il désire : on n’a pas envie sans avoir envie de
quelque chose. Il semble naturel de dire que nous savons toujours ce que nous
désirons, justement parce que c’est nous qui désirons : nous sommes les
mieux placés pour connaître nos envies. Nous pouvons certes raffiner cette
connaissance de nos penchants, en comprenant que, à chaque désir, je ne fais
que tendre vers ce que je juge être un bien pour moi, même lorsque je suis
porté à agir, semble-t-il, contre ma personne. Néanmoins, le désir étant une
attirance vers « ce dont je crois manquer » comme le dit Socrate dans
Le Banquet de Platon, j’ai toujours
une conscience, même si elle est parfois obscure, de ce que je désire. Ainsi,
nous aurions toujours une connaissance, un savoir, ou tout du moins une représentation
de ce vers quoi nous tendons, que ce soit un objet, une personne, une relation,
ou un état, une situation.
Cependant, il peut parfois arriver que ce qui se passe en nous
lorsque nous désirons nous échappe quelque peu. En effet, lorsque je désire, je
ne sais pas toujours ce qui est en jeu dans « mon » envie, si tant
est que l’on puisse encore dire que ce soit la mienne. Une envie, un désir,
peut être formaté, modelé, créé même : c’est d’ailleurs là l’objectif de
toute publicité, de toute tentative de persuasion. Ainsi, lorsqu’une technique
de persuasion fonctionne sur moi, je pense que je désire cela, une belle voiture
par exemple, pour le confort qu’elle offre, alors qu’en réalité, ce que
je désire vraiment (ce que je ne m’avoue pas à moi-même, ce dont, parfois, je
n’ai même pas conscience), c’est de ressembler à celui qui conduit la voiture
dans la publicité. Ainsi, derrière les effets de masse, de mode, de
« désir mimétique » comme le dit René Girard, il y a des désirs qui
se cachent derrière « mes » désirs. Je pense et je dis désirer
obtenir mon baccalauréat pour devenir étudiant alors qu’en réalité, ce que je
désire vraiment, c’est de rendre fiers mes parents : en désirant le
succès, ce n’est pas le succès que je désire, mais la reconnaissance. Pire que
ces désirs dissimulés, il y a des moments où je ne sais plus bien ce que je
désire vraiment. Un désir changé en passion, en désir déraisonnable, peut venir
réduire au silence certains autres de mes désirs. Si nous prenons l’exemple de
Médée, elle ne désire pas le malheur de ses enfants, mais, pourtant, elle les
tue pour se venger de son traître de mari, emportée par la colère. Dans le Criton de Platon, Socrate semble avoir
tout de même la tentation de s’évader, tentation incarnée par Criton : au
début de l’ouvrage, il semble déprimé, ce qui laisse à penser qu’au fond de lui
il aimerait partir mais qu’il n’en a pas ou plus la force. Socrate apparaît
alors comme étant tiraillé entre, d’une part, son désir de fuite, et, d’autre
part, ce qu’il développe dans tout le Criton,
son désir de rester juste face à l’injustice de sa condamnation à mort. Nous ne
semblons pas toujours savoir ce que nous désirons car nos désirs sont souvent
contradictoires et, pourtant, simultanés : nous avons envie de manger, et,
en même temps, d’être mince ; nous désirons le beau temps, et, en même
temps, craignons la canicule ; nous souhaitons davantage de loisir, mais
aussi du travail, pour combattre l’ennui notamment. Nous sommes
tiraillés : entre le plaisir et la tranquillité ; entre l’ordre et la
liberté ; entre le divertissement et la compréhension du réel ; entre
la justice et la morale qui, parfois, semble supérieure à l’application du
droit ; entre la liberté de l’athée et l’espoir du religieux. Enfin,
au-delà de ces hésitations, de ces tergiversations, nos désirs nous échappent
parfois, au point que nous ne comprenons pas toujours d’où nous viennent
certains de nos désirs qui, pourtant, ne manquent pas de s’exprimer. Nos désirs
inconscients, souvent soit destructeurs soit sexuels, maîtrisés, autant que
faire se peut, par le « Sur-Moi » (Freud) échappent à notre
connaissance véritable et ont besoin de l’analyse du psychanalyste pour
proposer des hypothèses quant à leurs origines. Nos fantasmes refoulés
s’expriment alors au travers des rêves, des lapsus, et des actes manqués. Sans
nécessairement évoquer la psychanalyse freudienne, le principe même du fantasme,
c’est-à-dire l’imagination qui prend le contrôle du désir, montre que nous ne
connaissons que trop peu souvent la réalité de l’objet que l’on dit
désirer : on pense désirer vivre en couple avec une personne, on fantasme,
et, en réalité, ce n’est pas cette personne, ni vivre avec elle, que nous
désirons. Nous désirons plus ce que nous avions imaginé que ce que nous vivons
réellement. Ainsi, nous ne savons pas toujours la réalité de ce que nous disons
désirer.
La question est en tout cas ici de savoir
si pour tout désir et en toute situation, nous avons une connaissance, un
savoir de ce vers quoi nous tendons, ou
bien si, au contraire, l’objet de notre désir peut parfois nous échapper,
se dissimuler, entrer en contradiction avec d’autres (ce qui nous plonge dans
les turpitudes de l’hésitation), ou être de nous inconscient.
Afin de répondre à cette question, nous
verrons d’abord en quoi il semble
naturel de dire que nous avons toujours, pour tout désir et pour toute
situation, une connaissance de ce vers quoi nous tendons. Cependant, il nous faudra relever que l’objet véritable de notre
désir peut être relégué au second plan par d’autres désirs, que nous avons
tendance à hésiter entre des désirs contradictoires, et que certains de nos
désirs échappent à notre conscience. Enfin,
il sera légitime de se poser la question de savoir s’il faut toujours savoir ce
que nous désirons : ne nous suffirait-il pas de désirer, même si nous ne
savons pas exactement quoi ?
PLAN :
I / Nous connaissons toujours ce vers
quoi nous tendons.
-
On ne désire pas
dans le néant : on désire toujours quelque chose, ou quelqu’un.
-
On peut savoir
qu’au travers de n’importe quel désir, on désire son bonheur, son bien pour soi
(voir Kant ; Pascal (au début du cours sur le
bonheur))
-
Le désir est
l’expression d’un manque (Platon, Le Banquet). Or, si l’on croit manquer
de quelque chose, on sait, même vaguement, de quoi on manque.
II / Cependant, parfois, notre désir
nous échappe :
-
Il y a des désirs
dissimulés derrière nos désirs de façade :
effets de masse, de mode ; désir
de reconnaissance (Sartre ; Hegel) ; « désir
mimétique » (René Girard) ; fantasmes (imagination) (exemple :
citation de Stendhal sur l’amour) ; derrière le désir du beau visage est
le désir de l’Idée du Beau (Plotin ;
Platon)
-
Le désir est
contradictoire :
Médée : protection de ses
enfants / meurtre de ses enfants par vengeance
Socrate dans le Criton de Platon : tentation de fuir / rester juste
malgré la condamnation à mort injuste
Nourriture / Minceur
Gâteau immédiat / Attente pour plus
de gâteaux (voir le test de la guimauve)
Loisir / Travail (voir le cours sur
le travail)
Plaisir / Sérénité (voir cours
bonheur)
Ordre / Liberté (voir cours
politique)
Divertissement / Accès au réel (voir
cours sur l’art)
Appareil judiciaire / Morale contre
le droit (voir cours sur la justice)
Liberté de l’athée / Espoir du
religieux (voir cours sur la religion)
-
Le désir nous
échappe :
L’inconscient freudien s’exprime
malgré nous : nous n’assumons pas le contenu refoulé de notre inconscient
pulsionnel. (Freud : « Le Moi n’est pas maître en sa propre
maison. »)
III / Faut-il toujours savoir ce que
nous désirons ?
L’important n’est-il pas de désirer,
peu importe l’objet de notre désir, qu’il soit connu ou non ?
Références : Calliclès contre
Socrate ; Nietzsche contre l’Eglise
Exemple : Voir l’extrait de film
Amélie Poulain : Elle ne sait pas ce qu’elle désire : elle est portée
à tout faire, à répandre partout sa joie par tous les moyens à sa disposition.
Le désir est une énergie, et non un projet à connaître.
Conclusion :
Nous
ne savons pas toujours très bien ce que nous disons désirer : nous
tergiversons, nous sommes pris dans nos contradictions, tiraillés entre deux
penchants opposés dont la force d’attraction est parfois égales. L’objet même
de notre désir nous échappe parfois : nous pensons désirer réussir par
exemple, alors qu’en réalité nous souhaitons d’abord rendre fiers ceux qui
assisteront à notre succès. Cependant, l’Homme doit-il avoir pour projet de
prendre conscience de ce qu’il désire véritablement ? Ne lui suffit-il pas
de désirer, peu importe ce qui est désiré ? Désirer est avant tout une
action, un état d’éveil du corps et de l’esprit, indépendamment de ce vers quoi
nous pousse cette énergie. En désirant, nous portons en nous nos hésitations et
nos contradictions, mais, nous désirons, en hommes, et non en machines qui ne
feraient que répondre à un protocole défini à l’avance. Ainsi, nous ne savons
pas toujours ce que nous désirons, et c’est sans doute mieux ainsi. C’est en
sachant trop exactement et systématiquement ce que nous désirons que nous
tuerions en nous le désir, et, avec lui, la vie en notre être.
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