jeudi 16 juin 2016

Proposition de corrigés du BAC Philo Séries ES et S

Les corrigés que je propose ici ne sont pas les plans qu'il fallait absolument faire : ce n'est que ce que personnellement j'aurais fait, ce qui n'assure en rien une note parfaite à l'examen. Tout reste ouvert.

Je n'ai rédigé que le premier sujet de la série ES sur le désir que je considère être le sujet le plus riche. Pour les autres sujets, notamment pour la série S, je renvoie beaucoup au cours, et me suis donc dispensé de tout rédiger.

Bonne lecture.


BAC 2016 ES :



Sujet 1 : « Savons-nous toujours ce que nous désirons ? »



Remarques préalables :



La question porte essentiellement sur les objets de nos désirs (« ce que nous désirons »), plutôt que sur le désir lui-même. Ainsi, il ne fallait pas réciter la totalité de son cours sur le désir sans relier ce propos à la question posée : il ne s’agit pas d’une dissertation sur le désir « en général ».





            Se demander si nous savons toujours ce que nous désirons pose au moins deux questions : y a-t-il des situations, des moments durant lesquels nous ne savons plus ce que nous désirons réellement ? Et : y a-t-il des désirs qui échappent à toute représentation limpide de ce qui est désiré ? « Toujours » signifie alors ici, soit, « peu importe le désir en question » ; soit, « peu importe la situation dans laquelle nous nous trouvons ». Il nous semble d’abord étonnant, presque absurde, de se demander si nous savons toujours ce que nous désirons. En effet, si nous désirons quelque chose, ou quelqu’un, nous savons bien ce que nous désirons. On imagine mal quelqu’un désirer sans savoir, sans avoir conscience de ce qu’il désire : on n’a pas envie sans avoir envie de quelque chose. Il semble naturel de dire que nous savons toujours ce que nous désirons, justement parce que c’est nous qui désirons : nous sommes les mieux placés pour connaître nos envies. Nous pouvons certes raffiner cette connaissance de nos penchants, en comprenant que, à chaque désir, je ne fais que tendre vers ce que je juge être un bien pour moi, même lorsque je suis porté à agir, semble-t-il, contre ma personne. Néanmoins, le désir étant une attirance vers « ce dont je crois manquer » comme le dit Socrate dans Le Banquet de Platon, j’ai toujours une conscience, même si elle est parfois obscure, de ce que je désire. Ainsi, nous aurions toujours une connaissance, un savoir, ou tout du moins une représentation de ce vers quoi nous tendons, que ce soit un objet, une personne, une relation, ou un état, une situation.

Cependant, il peut parfois arriver que ce qui se passe en nous lorsque nous désirons nous échappe quelque peu. En effet, lorsque je désire, je ne sais pas toujours ce qui est en jeu dans « mon » envie, si tant est que l’on puisse encore dire que ce soit la mienne. Une envie, un désir, peut être formaté, modelé, créé même : c’est d’ailleurs là l’objectif de toute publicité, de toute tentative de persuasion. Ainsi, lorsqu’une technique de persuasion fonctionne sur moi, je pense que je désire cela, une belle voiture par exemple, pour le confort qu’elle offre, alors qu’en réalité, ce que je désire vraiment (ce que je ne m’avoue pas à moi-même, ce dont, parfois, je n’ai même pas conscience), c’est de ressembler à celui qui conduit la voiture dans la publicité. Ainsi, derrière les effets de masse, de mode, de « désir mimétique » comme le dit René Girard, il y a des désirs qui se cachent derrière « mes » désirs. Je pense et je dis désirer obtenir mon baccalauréat pour devenir étudiant alors qu’en réalité, ce que je désire vraiment, c’est de rendre fiers mes parents : en désirant le succès, ce n’est pas le succès que je désire, mais la reconnaissance. Pire que ces désirs dissimulés, il y a des moments où je ne sais plus bien ce que je désire vraiment. Un désir changé en passion, en désir déraisonnable, peut venir réduire au silence certains autres de mes désirs. Si nous prenons l’exemple de Médée, elle ne désire pas le malheur de ses enfants, mais, pourtant, elle les tue pour se venger de son traître de mari, emportée par la colère. Dans le Criton de Platon, Socrate semble avoir tout de même la tentation de s’évader, tentation incarnée par Criton : au début de l’ouvrage, il semble déprimé, ce qui laisse à penser qu’au fond de lui il aimerait partir mais qu’il n’en a pas ou plus la force. Socrate apparaît alors comme étant tiraillé entre, d’une part, son désir de fuite, et, d’autre part, ce qu’il développe dans tout le Criton, son désir de rester juste face à l’injustice de sa condamnation à mort. Nous ne semblons pas toujours savoir ce que nous désirons car nos désirs sont souvent contradictoires et, pourtant, simultanés : nous avons envie de manger, et, en même temps, d’être mince ; nous désirons le beau temps, et, en même temps, craignons la canicule ; nous souhaitons davantage de loisir, mais aussi du travail, pour combattre l’ennui notamment. Nous sommes tiraillés : entre le plaisir et la tranquillité ; entre l’ordre et la liberté ; entre le divertissement et la compréhension du réel ; entre la justice et la morale qui, parfois, semble supérieure à l’application du droit ; entre la liberté de l’athée et l’espoir du religieux. Enfin, au-delà de ces hésitations, de ces tergiversations, nos désirs nous échappent parfois, au point que nous ne comprenons pas toujours d’où nous viennent certains de nos désirs qui, pourtant, ne manquent pas de s’exprimer. Nos désirs inconscients, souvent soit destructeurs soit sexuels, maîtrisés, autant que faire se peut, par le « Sur-Moi » (Freud) échappent à notre connaissance véritable et ont besoin de l’analyse du psychanalyste pour proposer des hypothèses quant à leurs origines. Nos fantasmes refoulés s’expriment alors au travers des rêves, des lapsus, et des actes manqués. Sans nécessairement évoquer la psychanalyse freudienne, le principe même du fantasme, c’est-à-dire l’imagination qui prend le contrôle du désir, montre que nous ne connaissons que trop peu souvent la réalité de l’objet que l’on dit désirer : on pense désirer vivre en couple avec une personne, on fantasme, et, en réalité, ce n’est pas cette personne, ni vivre avec elle, que nous désirons. Nous désirons plus ce que nous avions imaginé que ce que nous vivons réellement. Ainsi, nous ne savons pas toujours la réalité de ce que nous disons désirer.

            La question est en tout cas ici de savoir si pour tout désir et en toute situation, nous avons une connaissance, un savoir de ce vers quoi nous tendons, ou bien si, au contraire, l’objet de notre désir peut parfois nous échapper, se dissimuler, entrer en contradiction avec d’autres (ce qui nous plonge dans les turpitudes de l’hésitation), ou être de nous inconscient.

            Afin de répondre à cette question, nous verrons d’abord en quoi il semble naturel de dire que nous avons toujours, pour tout désir et pour toute situation, une connaissance de ce vers quoi nous tendons. Cependant, il nous faudra relever que l’objet véritable de notre désir peut être relégué au second plan par d’autres désirs, que nous avons tendance à hésiter entre des désirs contradictoires, et que certains de nos désirs échappent à notre conscience. Enfin, il sera légitime de se poser la question de savoir s’il faut toujours savoir ce que nous désirons : ne nous suffirait-il pas de désirer, même si nous ne savons pas exactement quoi ?



PLAN :



I / Nous connaissons toujours ce vers quoi nous tendons.



-          On ne désire pas dans le néant : on désire toujours quelque chose, ou quelqu’un.



-          On peut savoir qu’au travers de n’importe quel désir, on désire son bonheur, son bien pour soi (voir Kant ; Pascal (au début du cours sur le bonheur))



-          Le désir est l’expression d’un manque (Platon, Le Banquet). Or, si l’on croit manquer de quelque chose, on sait, même vaguement, de quoi on manque.



II / Cependant, parfois, notre désir nous échappe :



-          Il y a des désirs dissimulés derrière nos désirs de façade :



effets de masse, de mode ; désir de reconnaissance (Sartre ; Hegel) ; « désir mimétique » (René Girard) ; fantasmes (imagination) (exemple : citation de Stendhal sur l’amour) ; derrière le désir du beau visage est le désir de l’Idée du Beau (Plotin ; Platon)



-          Le désir est contradictoire :



Médée : protection de ses enfants / meurtre de ses enfants par vengeance



Socrate dans le Criton de Platon : tentation de fuir / rester juste malgré la condamnation à mort injuste



Nourriture / Minceur



Gâteau immédiat / Attente pour plus de gâteaux (voir le test de la guimauve)



Loisir / Travail (voir le cours sur le travail)



Plaisir / Sérénité (voir cours bonheur)



Ordre / Liberté (voir cours politique)



Divertissement / Accès au réel (voir cours sur l’art)



Appareil judiciaire / Morale contre le droit (voir cours sur la justice)



Liberté de l’athée / Espoir du religieux (voir cours sur la religion)





-          Le désir nous échappe :



L’inconscient freudien s’exprime malgré nous : nous n’assumons pas le contenu refoulé de notre inconscient pulsionnel. (Freud : « Le Moi n’est pas maître en sa propre maison. »)





III / Faut-il toujours savoir ce que nous désirons ?



L’important n’est-il pas de désirer, peu importe l’objet de notre désir, qu’il soit connu ou non ?



Références : Calliclès contre Socrate ; Nietzsche contre l’Eglise



Exemple : Voir l’extrait de film Amélie Poulain : Elle ne sait pas ce qu’elle désire : elle est portée à tout faire, à répandre partout sa joie par tous les moyens à sa disposition. Le désir est une énergie, et non un projet à connaître.





Conclusion :



            Nous ne savons pas toujours très bien ce que nous disons désirer : nous tergiversons, nous sommes pris dans nos contradictions, tiraillés entre deux penchants opposés dont la force d’attraction est parfois égales. L’objet même de notre désir nous échappe parfois : nous pensons désirer réussir par exemple, alors qu’en réalité nous souhaitons d’abord rendre fiers ceux qui assisteront à notre succès. Cependant, l’Homme doit-il avoir pour projet de prendre conscience de ce qu’il désire véritablement ? Ne lui suffit-il pas de désirer, peu importe ce qui est désiré ? Désirer est avant tout une action, un état d’éveil du corps et de l’esprit, indépendamment de ce vers quoi nous pousse cette énergie. En désirant, nous portons en nous nos hésitations et nos contradictions, mais, nous désirons, en hommes, et non en machines qui ne feraient que répondre à un protocole défini à l’avance. Ainsi, nous ne savons pas toujours ce que nous désirons, et c’est sans doute mieux ainsi. C’est en sachant trop exactement et systématiquement ce que nous désirons que nous tuerions en nous le désir, et, avec lui, la vie en notre être.

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